dimanche 28 novembre 2010

La Parole

Le visage de l'enfant - d'un adulte aussi - s'épanouit quand la voix atteint au coeur et est touché par ce qui parle, crée et recrée l'homme dans un rapport animé par l'Esprit. On peut dire qu'il est rendu à son statut de fils des vivants.

Denis VASSE, L'arbre de la voix (2010)

jeudi 25 novembre 2010

Amor

...ce sentiment impérieux, violent, nouveau et fort qui a pour nom l'amour. Sentiment envahissant et suprême, vivifiant. Source nouvelle d'une énergie qu'on avait crue épuisée et qui se retrouve à disposition, intégrale. L'amour, étrange. Les foules de poètes, philosophes, littérateurs l'ont décrit, chanté, décortiqué, dans toutes les langues, sans jamais réussir à en donner une définition transmissible. Sans jamais, d'ailleurs, que cette définition fût nécessaire pour qu'il fût reconnu par qui, brutalement, se mettra à l'éprouver. Différent de l'attente, de la ferveur, de l'impatience ou du plaisir. Les mêlant sans les épuiser et y adjoignant encore bien d'autres choses indicibles.

Aldo NAOURI, Une place pour le père (1985)

vendredi 12 novembre 2010

Zone

Tu as fait de douloureux et de joyeux voyages
Avant de t'apercevoir du mensonge et de l'âge
Tu as souffert de l'amour à vingt et à trente ans
J'ai vécu comme un fou et j'ai perdu mon temps
Tu n'oses plus regarder tes mains et à tous moments je voudrais
sangloter
Sur toi sur celle que j'aime sur tout ce qui t'a épouvanté

Guillaume APOLLINAIRE (1880-1918)

jeudi 11 novembre 2010

Novembre

Un filet de sang
Aux lèvres de l'aube
Le temps qui se sauve
La nuit qui descend

Le vent sur la terre
Les mains sur les haches
Le ciel qui se cache
Les coeurs grands ouverts

L'attente, l'attente
Le mal plus profond
La plaie plus au fond
Plus creuse, géante

La mer à combler
La saline à boire
La haine, la gloire
A désassembler

Les fruits de l'hiver
Le froid qui les brûle
Le feu dans nos rues
Le fer et l'enfer

Le mal de Novembre
Quel homme dira
Qu'il fut dans nos bras
Si dur et si tendre

Pierre SEGHERS (1942)

mardi 9 novembre 2010

Hymne de la Liberté

O mémoire des morts exhalée de la terre
Lumière qui montais du silence et du sol
Tu faiblis, et dans le passé les pas se perdent
L'homme au soir des nations est seul. Les tyrans
Ont soumis jusqu'aux monts ultimes de l'histoire
Et réprimé le pouls des fleuves sous leur poids :
Leurs géantes statues défient la nuit géante
A leur front luit une escarboucle de malheur
Dont la lueur séduit la misère des hommes
Car un froid noir rayonne d'elle, et dans le sang
Allume les ardeurs sans nom de la ténèbre

Tandis qu'en haut avec la liberté le Ciel se meurt.

(...)

O mes frères dans les prisons vous êtes libres
Libres les yeux brûlés les membres enchaînés
Le visage troué les lèvres mutilées
Vous êtes ces arbres violents et torturés
Qui croissent plus puissants parce qu'on les émonde
Et sur tout le pays d'humaine destinée
Votre regard d'hommes vrais est sans limites
Votre silence est la paix terrible de l'éther.

Par-dessus les tyrans enroués de mutisme
Il y a la nef silencieuse de vos mains
Par-dessus l'ordre dérisoire des tyrans
Il y a l'ordre des nuées et des cieux vastes
Il y a la respiration des monts très bleus
Il y a les libres lointains de la prière
Il y a les larges fronts qui ne se courbent pas
Il y a les astres dans la liberté de leur essence
Il y a les immenses moissons du devenir
Il y a dans les tyrans une angoisse fatale
Qui est la liberté effroyable de Dieu.

Pierre EMMANUEL (Alger, 1942)

mardi 2 novembre 2010

Pensée des morts

Voilà les feuilles sans sève
Qui tombent sur le gazon,
Voilà le vent qui s'élève
Et gémit dans le vallon,
Voilà l'errante hirondelle
Qui rase du bout de l'aile
L'eau dormante des marais,
Voilà l'enfant des chaumières
Qui glane sur les bruyères
Le bois tombé des forêts.

C'est la saison où tout tombe
Aux coups redoublés des vents;
Un vent qui vient de la tombe
Moissonne aussi les vivants :
Ils tombent alors par mille,
Comme la plume inutile
Que l'aigle abandonne aux airs,
Lorsque des plumes nouvelles
Viennent réchauffer ses ailes
A l'approche des hivers.

C'est alors que ma paupière
Vous vit pâlir et mourir,
Tendres fruits qu'à la lumière
Dieu n'a pas laissés mûrir !
Quoique jeune sur la terre,
Je suis déjà solitaire
Parmi ceux de ma saison,
Et quand je dis en moi-même :
Où sont ceux que mon coeur aime ?
Je regarde le gazon.

C'est un ami de l'enfance,
Qu'aux jours sombres du malheur
Nous prêta la Providence
Pour appuyer notre coeur;
Il n'est plus; notre âme est veuve,
Il nous suit dans notre épreuve
Et nous dit avec pitié :
Ami, si ton âme est pleine,
De ta joie ou de ta peine
Qui portera la moitié ?

C'est une jeune fiancée
Qui, le front ceint du bandeau,
N'emporta qu'une pensée
De sa jeunesse au tombeau;
Triste, hélas ! dans le ciel même,
Pour revoir celui qu'elle aime
Elle revient sur ses pas,
Et lui dit : Ma tombe est verte !
Sur cette terre déserte
Qu'attends-tu ? Je n'y suis pas !

C'est l'ombre pâle d'un père
Qui mourut en nous nommant;
C'est une soeur, c'est un frère,
Qui nous devance un moment;
Tous ceux enfin dont la vie
Un jour ou l'autre ravie,
Emporte une part de nous,
Murmurent sous la poussière :
Vous qui voyez la lumière,
Vous souvenez-vous de nous ?

Alphonse de LAMARTINE, Harmonies poétiques et religieuses (1830)

Le Ruisseau

    L ’ entendez-vous , l’entendez-vous   Le menu flot sur les cailloux ?   Il passe et court et glisse,  Et doucement dédie aux branches,...