lundi 12 novembre 2018

To the Virgins, to Make Much of Time/ Quand vous serez bien vieille

Gather ye rosebuds while ye may,
   Old Time is still a-flying; 
And this same flower that smiles today 
   Tomorrow will be dying.

The glorious lamp of heaven, the sun, 
   The higher he’s a-getting,
The sooner will his race be run,
   And nearer he’s to setting.

That age is best which is the first,
   When youth and blood are warmer;
But being spent, the worse, and worst
   Times still succeed the former. 

Then be not coy, but use your time,
   And while ye may, go marry;
For having lost but once your prime,
   You may forever tarry.
 
 Robert Herrick  (1591 - 1674)

***


Quand vous serez bien vieille

 
Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle,
Assise auprès du feu, dévidant et filant,
Direz, chantant mes vers, en vous émerveillant :
Ronsard me célébrait du temps que j’étais belle.
Lors, vous n’aurez servante oyant telle nouvelle,
Déjà sous le labeur à demi sommeillant,
Qui au bruit de mon nom ne s’aille réveillant,
Bénissant votre nom de louange immortelle.
Je serai sous la terre et fantôme sans os :
Par les ombres myrteux je prendrai mon repos :
Vous serez au foyer une vieille accroupie,
Regrettant mon amour et votre fier dédain.
Vivez, si m’en croyez, n’attendez à demain :
Cueillez dès aujourd’hui les roses de la vie.

Pierre de Ronsard, Sonnets pour Hélène (1578)

 

samedi 10 novembre 2018

Le Chat

Dans ma cervelle se promène
Ainsi qu'en son appartement,
Un beau chat, fort, doux et charmant.
Quand il miaule, on l'entend à peine,

Tant son timbre est tendre et discret ;
Mais que sa voix s'apaise ou gronde,
Elle est toujours riche et profonde.
C'est là son charme et son secret.

Cette voix, qui perle et qui filtre
Dans mon fonds le plus ténébreux,
Me remplit comme un vers nombreux
Et me réjouit comme un philtre.

Elle endort les plus cruels maux
Et contient toutes les extases ;
Pour dire les plus longues phrases,
Elle n'a pas besoin de mots.

Non, il n'est pas d'archet qui morde
Sur mon coeur, parfait instrument,
Et fasse plus royalement
Chanter sa plus vibrante corde,

Que ta voix, chat mystérieux,
Chat séraphique, chat étrange,
En qui tout est, comme en un ange,
Aussi subtil qu'harmonieux !

II

De sa fourrure blonde et brune
Sort un parfum si doux, qu'un soir
J'en fus embaumé, pour l'avoir
Caressée une fois, rien qu'une.

C'est l'esprit familier du lieu ;
Il juge, il préside, il inspire
Toutes choses dans son empire ;
Peut-être est-il fée, est-il dieu ?

Quand mes yeux, vers ce chat que j'aime
Tirés comme par un aimant
Se retournent docilement
Et que je regarde en moi-même

Je vois avec étonnement
Le feu de ses prunelles pâles,
Clairs fanaux, vivantes opales,
Qui me contemplent fixement.



Charles BAUDELAIRE, Les Fleurs du Mal (1857)

mardi 21 août 2018

Présence intime

"Pour ne pas laisser la présence faire écran, on peut choisir de faire écran à la présence ; pour qu'elle ne s'enlise pas dans son plein jour, on peut vouloir la maintenir dans la pénombre ; pour éviter que la présence se désactive, on peut se maintenir sur le seuil, en amont, et ne pas entrer. Le Japon (la maison japonaise) a raffiné cet art de la présence tamisée pour prémunir la présence de son opacification. Bambous, stores, paravents, parois de soie ou de papier, cloisons mobiles ou rideaux tirés, mais aussi les manches levées sur la bouche et donnant à peine à apercevoir le visage, laissent filtrer la présence entre les amants, et la dissipent en atmosphère, plutôt que de strictement l'individuer et l'assigner. Ils organisent une obliquité d'accès qui les préserve de la brutalité, de l'agressivité du face-à-face. Présence qu'on entend venir dans un bruissement de soie, paroles qu'on échange à travers la frêle séparation, physionomies qu'on entrevoit : à la force (violence) de la parousie, on peut préférer une présence furtive, saisie à la dérobée, qui ne déçoit pas, cette déception étant à penser d'abord, dans nos termes, comme ontologique. Par une brèche de la clôture, on apercevait les reflets de l'étang, décrit le Genji. Le voyageur s'assoit parmi les chrysanthèmes aux couleurs avivées par le givre et tire une flûte du revers de sa manche. Quelque part dans la maison, une cithare se met à l'accompagner laissant déceler le jeu délicat d'une main de femme, venant de derrière le store, sous le miroitement de la lune."

François JULLIEN, Près d'elle (2016)

mardi 29 mai 2018

Feuillets d'Hypnos (175)

Le peuple des prés m'enchante. Sa beauté frêle et dépourvue de venin, je ne me lasse pas de me la réciter. Le campagnol, la taupe, sombres enfants perdus dans la chimère de l'herbe, l'orvet, fils du verre, le grillon, moutonnier comme pas un, la sauterelle qui claque et compte son linge, le papillon qui simule l'ivresse et agace les fleurs de ses hoquets silencieux, les fourmis assagies par la grande étendue verte, et immédiatement au-dessus les météores hirondelles ...
Prairie, vous êtes le boîtier du jour.

René CHAR, Feuillets d'Hypnos (1943-1944)

samedi 26 mai 2018

L'ESPERANCE

Dans l'obscurité pressentir la joie,
Savoir susciter la fraîcheur des roses,
Leur jeune parfum qui vient sous vos doigts
Comme une douceur cherche un autre corps.
Le coeur précédé d'antennes agiles,
Avancer en soi, et grâce à quels yeux,
Eclairer ceci, déceler cela,
Rien qu'en approchant des mains lumineuses.
Mais dans quel jardin erre-t-on ainsi
Qui ne serait clos que par la pensée ?
Ah pensons tout bas, n'effarouchons rien,
Je sens que se forme un secret soleil.

Jules SUPERVIELLE, La Fable du monde (1938)

samedi 19 mai 2018

MARIPOSA

Butterflies are white and blue
In this field we wander through.
Suffer me to take your hand.
Death comes in a day or two.

All the things we ever knew
Will be ashes in that hour:
Mark the transient butterfly,
How he hangs upon the flower.

Suffer me to take your hand.
Suffer me to cherish you
Till the dawn in the sky.
Whether I be false or true,
Death comes in a day or two.

Edna ST. VINCENT MILLAY, Second April

vendredi 20 avril 2018

L'orage

La seconde fois où je me rendis là-haut, assis sur un rocher moussu à contempler longuement le lointain, je vis le bleu apparemment immuable virer subitement au gris argent et les nuages commencer à s'amonceler. Un orage s'annonçait. Dans l'ombreux repli, on le sentait tout d'un coup imminent, tant l'air chaud se condensait en une anxieuse attente. Tel un guetteur à l'avant-poste, j'étais happé par la grandiose vision des amas de nuages qui prirent brusquement des teintes d'encre de Chine striées d'éclairs. Ce moment aux couleurs dramatiques était trop tendu pour durer. Peu après, le ciel se décida à la donation totale. La digue, avec fracas, se rompit. Au loin, depuis la très haute voûte tombèrent tout à trac d'innombrables filaments d'eau enveloppés de vapeur, formant une immense armée en rangs serrés - de cavaliers ou d'anges ? - qui s'avança en notre direction, vers ce coin de terre partagé entre accueil et crainte. Mais très vite, ce fut le sentiment de reconnaissance qui domina, quand se répandit le tam-tam de la pluie battant les feuilles, amplifié par les cascades de sources dont résonnaient tout autour les rochers empilés. Quand l'orage eut tout délavé, faisant place à la clarté du couchant, un arc-en-ciel campa, souverain, son arche entre ciel et terre.

François CHENG, Assise, Une rencontre inattendue (2012)

mercredi 11 avril 2018

En bleu adorable ...

En bleu adorable fleurit
Le toit de métal du clocher. Alentour
Plane un cri d'hirondelles, autour
S'étend le bleu le plus touchant. Le soleil
Au-dessus va très haut et colore la tôle,
Mais silencieuse, là-haut, dans le vent,
Crie la girouette. Quand quelqu'un
Descend, au-dessous de la cloche, les marches, alors
Le silence est vie; car,
Lorsque le corps a tel point se détache,
Une figure sitôt ressort, de l'homme.
Les fenêtres d'où tintent les cloches sont
Comme des portes, par vertu de leur beauté. Oui,
Les portes encore étant de la nature, elles
Sont à l'image des arbres de la forêt. Mais la pureté
Est, elle, beauté aussi.
....
HÔLDERLIN

samedi 24 mars 2018

Rêves, nuages ...

"Au petit matin, mes rêves deviennent des nuages. Ils se dissipent. D'ailleurs, au fond, c'est intéressant, la vie des nuages... Je pourrais passer des heures à les regarder. Quand j'ai terminé mon travail et que nous sommes à Venise, j'aime aller prendre un café au grand air sur les pontons de la Giudecca pour regarder le passage des nuages et le fonctionnement du ciel au moment du coucher du soleil. C'est une succession de tableaux, c'est de la peinture, c'est de l'écriture, c'est de la musique et c'est de la danse... Tout d'un coup, vous voyez un bloc de nuages comme un corps de femme, et puis ça se dissout, ça se transforme, c'est très proche du rêve, et je suis fascinée par ces moments où le ciel m'offre quelque chose qui touche de si près au rêve sans l'être."

Dominique ROLIN, Plaisirs, Gallimard, 2002.

Le Ruisseau

    L ’ entendez-vous , l’entendez-vous   Le menu flot sur les cailloux ?   Il passe et court et glisse,  Et doucement dédie aux branches,...