jeudi 19 décembre 2019

Mon chat Ulysse

Mon chat Ulysse
A la jaunisse.

Il ne dort plus.
Il a si mal
Qu'il ne joue plus
Avec sa balle.

Mon chat Ulysse
A la jaunisse.

Sous le bahut
Où il se cache,
On ne voit plus
Que ses moustaches.

Mon chat Ulysse
A la jaunisse.

Ce sans-souci
A pris peur
D'une souris
A moteur.

Pierre CORAN

samedi 9 novembre 2019

Music, when Soft Voices die

Music, when soft voices die,
Vibrates in the memory ;
Odours, when  sweet violets sicken,
Live within the sense they quicken.

Rose leaves, when the rose is dead,
Are heap'd for the belovèd's bed ;
And so thy thoughts, when thou art gone,
Love itself shall slumber on.

Percy Bysshe SHELLEY

jeudi 7 novembre 2019

PROPHETIE

Un jour la Terre ne sera 
Qu'un aveugle espace qui tourne
Confondant la nuit et le jour.
Sous le ciel immense des Andes
Elle n'aura plus de montagnes.
Même pas un petit ravin.

De toutes les maisons du monde
Ne durera plus qu'un balcon
Et de l'humaine mappemonde
Une tristesse sans plafond.

De feu l'Océan Atlantique
Un petit goût salé dans l'air,
Un poisson volant et magique
Qui ne saura rien de la mer.

D'un coupé de mil-neuf-cent-cinq
(Les quatre roues et nul chemin !)
Trois jeunes filles de l'époque
Restées à l'état de vapeur
Regarderont par la portière
Pensant que Paris n'est pas loin
Et ne sentiront que l'odeur
Du ciel qui vous prend à la gorge.

A la place de la forêt
Un chant d'oiseau s'élèvera 
Que nul ne pourra situer,
Ni préférer, ni même entendre,
Sauf Dieu qui, lui, l'écoutera
Disant : "C'est un chardonneret."

Jules SUPERVIELLE

samedi 2 novembre 2019

When I have Fears that I may cease to be

When I have fears that I may cease to be
Before my pen has glean'd my teeming brain,
Before  high-piled books, in charact'ry,
Hold like full garners the full-ripen'd grain ;
When I behold, upon the night's starr'd face,
Huge cloudy symbols of a high romance,
And feel that I may never live to trace
Their shadows, with the magic hand of chance ;
And when I feel, fair creature of an hour !
That I shall never look upon thee more,
Never have relish in the faery power
Of unreflecting love ; - then on the shore
     Of the wide world I stand alone, and think,
     Till Love and Fame to nothingness do sink.

John KEATS (1795-1821)

mardi 22 octobre 2019

Si vous parliez, Seigneur ...

Si vous parliez, Seigneur, je vous entendrais bien,
Car toute humaine voix pour mon âme s'est tue,
     Je reste seule auprès de ma force abattue,
     J'ai quitté tout appui, j'ai rompu tout lien.

     Mon coeur méditatif et qui boit la lumière
   Vous aurait absorbé, si, transgressant les lois,
Comme le vent des nuits qui pénètre les pierres
   Votre verbe enflammé fût descendu sur moi !

Nul ne vous souhaitait avec tant d'indigence :
     Je vous aurais fêté au son du tympanon
Si j'avais, dans mon triste et studieux silence,
     Entendu votre voix et connu votre nom.

   Mais jamais rien à moi ne vous a révélé,
Seigneur ! ni le ciel lourd comme une eau suspendue,
     Ni l'exaltation de l'été sur les blés,
Ni le temple ionien sur la montagne ardue ;

     Ni les cloches qui sont un encens cadencé,
Ni le courage humain, toujours sans récompense,
   Ni les morts, dont l'hostile et pénétrant silence
     Semble un renoncement invincible et lassé ;

Ni ces nuits où l'esprit retient comme une preuve
     Son aspiration au bien universel ;
   Ni la lune qui rêve, et voit passer le fleuve
   Des baisers fugitifs sous les cieux éternels.

   Hélas ! ni les matins de ma brûlante enfance,
Où, dans les prés gonflés d'un nuage d'odeur,
   Je sentais, tant l'extase en moi jetait sa lance,
Un ange dans les cieux qui m'arrachait le coeur !

Anna de NOAILLES (1876-1933)
 

 


vendredi 18 octobre 2019

To Autumn

Season of mists and mellow fruitfulness,
Close bosom-friend of the maturing sun ;
Conspiring with him how to load and bless
With fruit the vines that round the thatch-eaves run ;
To bend with apples the moss'd cottage-tree,
And fill all fruit with ripeness to the core ;
To swell the gourd, and plump the hazel shells
With a sweet kernel ; to set budding more,
And still more, later flowers for the bees,
Until they think warm days will never cease,
For Summer has o'er-brimm'd their clammy cells.

John KEATS (1795-1821)

jeudi 17 octobre 2019

Plainte

Vrai sauvage égaré dans la ville de pierre,
A la clarté du gaz je végète et je meurs.
Mais vous vous y plaisez, et vos regards charmeurs
M'attirent à la mort, parisienne fière.

Je rêve de passer ma vie en quelque coin
Sous les bois verts ou sur les monts aromatiques,
En Orient, ou bien près du pôle, très loin,
Loin des journaux, de la cohue et des boutiques.

Mais vous aimez la foule et les éclats de voix,
Le bal de l'Opéra, le gaz et la réclame.
Moi, j'oublie, à vous voir, les rochers et les bois,
Je me tue à vouloir me civiliser l'âme.

Je m'ennuie à vous le dire si souvent :
Je mourrai, papillon brûlé, si cela dure...
Vous feriez bien pourtant, vos cheveux noirs au vent,
En clair peignoir ruché, sur un fond de verdure.

Charles CROS

mercredi 16 octobre 2019

Venasque

Les gels en meute vous rassemblent
Hommes plus ardents que buisson ;
Les longs vents d'hiver vous vont pendre.
Le toit de pierre est l'échafaud
d'une église glacée debout.

René CHAR

lundi 14 octobre 2019

Plus loin

Franchis la barrière
clouant le chemin
qui mène au sentier
qui mène au rocher
qui mène au caillou
posé dans la source
qui mène au caillou
d'ombre et de fraîcheur

Franchis la barrière
ouvrant le chemin
et rejoins la pierre
au bout du sentier
rejoins la fontaine
et le caillou blanc
posé dans la source
comme une chanson
gardée sous la langue.

Alain BOUDET

dimanche 13 octobre 2019

Excuse

Aux arbres il faut un ciel clair,
L'espace, le soleil et l'air,
L'eau dont leur feuillage se mouille.
Il faut le calme en la forêt,
La nuit, le vent tiède et discret

Au rossignol, pour qu'il gazouille.

Il te faut, dans les soirs joyeux,
Le triomphe; il te faut des yeux
Eblouis de ta beauté fière.
Au chercheur d'idéal il faut
Des âmes lui faisant là-haut
Une sympathique atmosphère.

Mais quand mauvaise est la saison,
L'arbre perd fleurs et frondaison.
Son bois seul reste, noir et grêle.
Et sur cet arbre dépouillé, 
L'oiseau, grelottant et mouillé,
Reste muet, tête sous l'aile.

Ainsi ta splendeur, sur le fond
Que les envieuses te font,
Perd son nonchaloir et sa grâce.
Chez les nuls, qui ne voient qu'hier,
Le poète, interdit et fier,
Rêvant l'art de demain, s'efface.

Arbres, oiseaux, femmes, rêveurs
Perdent dans les milieux railleurs
Feuillage, chant, beauté, puissance.
Dans la cohue où tu te plais,
Regarde-moi, regarde-les,
Et tu comprendras mon silence.

Charles CROS (1842-1888)

samedi 12 octobre 2019

Chanson du chat qui dort

Chat, chat, chat
Chat noir, chat blanc, chat gris,
Charmant chat couché, 
Chat, chat, chat,

N'entends-tu pas les souris
Danser à trois des entrechats
Sur le plancher ?

Le bourgeois ronfle dans son lit,
De son bonnet de coton coiffé
Et la lune regarde à la vitre :
Dansez souris, dansez jolies,
Dansez vite,
En remuant vos fines queues de fées.

Tristan KLINGSOR

vendredi 11 octobre 2019

SONNET CXVI

Let me not to the marriage of true mInds
Admit impediments. Love is not love
Which alters when it alteration finds,
Or bends with the remover to remove :
O, no ! it is an ever-fixed mark,
That looks on tempest and is never shaken ;
It is the star to every wand'ring bark,
Whose worth's unknown, although his height be taken.
Love's not Time's fool, though rosy lips and cheeks
Within his bending sickle's compass come ;
Love alters not with his brief hours and weeks,
But bears it out even to the edge of doom : -
     If this be error and upon me proved,
     I never writ, nor no man ever loved.

William SHAKESPEARE (1564-1616)






jeudi 10 octobre 2019

Sonnet astronomique

Alors que finissait la journée estivale,
Nous marchions, toi pendue à mon brass, moi rêvant
A ces mondes lointains dont je parle souvent.
Ainsi regardais-tu chaque étoile en rivale.

Au retour, à l'endroit où la côte dévale,
Tes genoux ont fléchi sous le charme énervant
De la soirée et des senteurs qu'avait le vent.
Vénus, dans l'ouest doré, se baignait triomphale.

Puis, las d'amour, levant les yeux languissamment,
Nous avons eu tous deux un long tressaillement
Sous la sérénité du rayon planétaire.

Sans doute, à cet instant, deux amants, dans Vénus,
Arrêtés en des bois aux parfums inconnus,
Ont, entre deux baisers, regardé notre terre.

Charles CROS (1842-1888)

mercredi 9 octobre 2019

Automne

Voilà les feuilles sans sève
Qui tombent sur le gazon ;
Voilà le vent qui s'élève
Et gémit dans le vallon ;
Voilà l'errante hirondelle
Qui rase du bout de l'aile
L'eau dormante des marais ;
Voilà l'enfant des chaumières
Qui glane sur les bruyères
Le bois tombé des forêts.

Alphonse de LAMARTINE

mardi 8 octobre 2019

Au bord des ruisseaux

Sur les cailloux, l'eau des ruisseaux
Fait comme un bruit de voix lointaines.
Coulez encore, ô fraîches eaux,
Votre murmure endort mes peines.

Jean-Marc BERNARD

lundi 7 octobre 2019

Les roses de Saadi

De ces jadins délicieux,
Surgis sous mes paupières closes,
J'aurais voulu cueillir les roses
Pour en parfumer nos adieux.

Mais l'odeur de ces fleurs humides,
Hélas ! m'enivra lentement ;
Je défaillis ... et maintenant
Je ne t'offre que mes mains vides.

Jean-Marc BERNARD

dimanche 6 octobre 2019

La ressemblance

Sur tes riches tapis, sur ton divan qui laisse
Au milieu des parfums respirer la mollesse,
En ce voluptueux séjour,
Où loin de tous les yeux, loin des bruits de la terre,
Les voiles enlacés semblent, pour un mystère, 
Eteindre les rayons du jour,

Ne t'enorgueillis pas, courtisane rieuse,
Si, pour toutes tes soeurs ma bouche sérieuse
Te sourit aussi doucement,
Si, pour toi seule ici, moins glacée et moins lente,
Ma main sur ton sein nu s'égare, si brûlante
Qu'on me prendrait pour un amant.

Ce n'est point que mon coeur soumis à ton empire,
Au charme décevant que ton regard inspire
Incapable de résister,
A cet appât trompeur se soit laissé surprendre
Et ressente un amour que tu ne peux comprendre,
Mon pauvre enfant ! ni mériter.

Non : ces rires, ces pleurs, ces baisers, ces morsures,
Ce cou, ces bras meurtris d'amoureuses blessures,
Ces transports, cet oeil enflammé ;
Ce n'est point un aveu, ce n'est point un hommage
Au moins : c'est que tes traits me rappellent l'image
D'une autre femme que j'aimai.

Elle avait ton parler, elle avait ton sourire,
Cet air doux et rêveur qui ne peut se décrire.
Et semble implorer un soutien ;
Et de l'illusion comprends-tu la puissance ?
On dirait que son oeil, tout voilé d'innocence,
Lançait des feux comme le tien.

Allons : regarde-moi de ce regard si tendre,
Parle-moi, touche-moi, qu'il me semble l'entendre
Et la sentir à mes côtés.
Prolonge mon erreur : que cette voix touchante
Me rende des accents si connus et me chante
Tous les airs qu'elle m'a chantés !

Hâtons-nous, hâtons-nous ! Insensé qui d'un songe
Quand le jour a chassé le rapide mensonge,
Espère encore le ressaisir !
Qu'à mes baisers de feu ta bouche s'abandonne,
Viens, que chacun de nous trompe l'autre et lui donne
Toi le bonheur, moi le plaisir !

Félix ARVERS

samedi 5 octobre 2019

Odelette

Un petit roseau m'a suffi
Pour faire frémir l'herbe haute
Et tout le pré
Et les doux saules
Et le ruisseau qui chante aussi ;
Un petit roseau m'a suffi
A faire chanter la forêt.

Ceux qui passent l'ont entendu
Au fond du soir, en leurs pensées,
Dans le silence et dans le vent,
Clair ou perdu,
Proche ou lointain...
Ceux qui passent, en leurs pensées,
En écoutant au fond d'eux-mêmes
L'entendront encore et l'entendent
Toujours qui chante.
Il m'a suffi
De ce petit roseau cueilli,
A la fontaine où vint l'Amour
Mirer un jour
Sa face grave
Et qui pleurait,
Pour faire pleurer ceux qui passent
Et trembler l'air et frémir l'eau ;
Et j'ai, du souffle d'un roseau,
Fait chanter toute la forêt.

Henri de RÉGNIER, Les jeux rustiques et divins)

jeudi 3 octobre 2019

Le jour

Tout est ravi quand vient le jour
Dans les cieux flamboyants d'aurore.
Sur la terre en fleur qu'il décore
La joie immense est de retour.

Les feuillages au pur contour
Ont un bruissement sonore ;
Tout est ravi quand vient le jour
Dans les cieux flamboyants d'aurore.

La chaumière comme la tour
Dans la lumière se colore,
L'eau murmure, la fleur adore,
Les oiseaux chantent, fous d'amour.
Tout est ravi quand vient le jour.

Théodore de BANVILLE

mercredi 2 octobre 2019

En été, les lis et les roses ...

En été, les lis et les roses
Jalousaient ses tons et ses poses.

La nuit, par l'odeur des tillleuls
Nous nous en sommes allés seuls.

L'odeur de son corps, sur la mousse,
Est plus enivrante que douce.

En revenant le long des blés,
Nous étions tous deux bien troublés.

Comme les blés que le vent frôle,
Elle ployait sur mon épaule.

***

L'automne fait les bruits froissés
De nos tumultueux baisers.

Dans l'eau tombent les feuilles sèches
Et, sur ses yeux, les folles mèches.

Voici les pêches, les raisins,
J'aime mieux sa joue et ses seins.

Que me fait le soir triste et rouge,
Quand sa lèvre boudeuse bouge ?

Le vin qui coule des pressoirs
Est moins traître que ses yeux noirs.

Charles CROS

mardi 1 octobre 2019

Mère

La cuisine est si calme
En ce matin d'avril
Qu'un reste de grésil
Rend plus dominical.

Le printemps, accoudé
Aux vitres, rit de voir
Son reflet dans l'armoire
Soigneusement cirée.

Les chaises se sont tues.
La table se rendort
Sous le poids des laitues
Encore lourdes d'aurore.

Et à peine entend-on, 
Horloge familière,
L'humble coeur de ma mère
Qui bat dans la maison.

Maurice CARÈME

lundi 30 septembre 2019

Allons voir le matin se lever

Viens. Sur tes cheveux noirs jette un chapeau de paille.
Avant l'heure du bruit, l'heure où chacun travaille,
Allons voir le matin se lever sur les monts
Et cueillir par les prés les fleurs que nous aimons.
Sur les bords de la source aux moires assouplies,
Les nénuphars dorés penchent des fleurs pâlies.
Il reste dans les champs et dans les grands vergers
Comme un écho voisin des chansons des bergers;
Et, secouant pour nous leurs ailes odorantes,
Les brises du matin, comme des soeurs errantes,
Jettent déjà vers toi, tandis que tu souris,
L'odeur du pêcher rose et des pommiers fleuris.

Théodore de BANVILLE

vendredi 27 septembre 2019

Sonnet

Je sais faire des vers perpétuels. Les hommes
Sont ravis à ma voix qui dit la vérité.
La suprême raison dont j'ai fier, hérité
Ne se payerait pas avec toutes les sommes.

J'ai tout touché : le feu, les femmes et les pommes ;
J'ai tout senti : l'hiver, le printemps et l'été ;
J'ai tout trouvé, nul mur ne m'ayant arrêté.
Mais Chance, dis-moi donc de quel nom tu te nommes ?

Je me distrais à voir à travers les carreaux
Des boutiques, les gants, les truffes et les chèques
Où le bonheur est un suivi de six zéros.

Je m'étonne, valant bien les rois, les évèques,
Les colonels et les receveurs généraux
De n'avoir pas de l'eau, du soleil, des pastèques.

Charles CROS

jeudi 26 septembre 2019

Le givre

Mon Dieu ! comme ils sont beaux
Les tremblants animaux
Que le givre a fait naître
La nuit sur ma fenêtre !

Ils broutent des fougères
Dans un bois plein d'étoiles,
Et l'on voit la lumière
A travers leurs corps pâles.

Il y a un chevreuil
Qui me connaît déjà;
Il soulève pour moi
Son front entre les feuilles.

Maurice CARÊME

mardi 24 septembre 2019

Printemps

Je te donne ce coin fleuri,

Ces arbres légers, cette brume

Et Paris, au loin, qui s'allume

Sous ces nuages blancs et gris.


Francis CARCO

lundi 23 septembre 2019

Le Thé

Miss Ellen, versez-moi le Thé
Dans la belle tasse chinoise,
Où des poissons d'or cherchent noise
Au monstre rose épouvanté.

J'aime la folle cruauté
Des chimères qu'on apprivoise :
Miss Ellen, versez-moi le Thé
Dans la belle tasse chinoise.

Là sous un ciel rouge irrité,
Une dame fière et sournoise
Montre en ses longs yeux de turquoise
L'extase et la naïveté.
Miss Ellen, versez-moi le Thé.


Théodore de BANVILLE

dimanche 22 septembre 2019

L'averse

Un arbre tremble sous le vent.
Les volets claquent.
Comme il a plu, l'eau fait des flaques.

Des feuilles volent sous le vent
Qui les disperse
Et, brusquement, il pleut à verse.

Francis CARCO

vendredi 20 septembre 2019

Insoumission


Vivre tranquille en sa maison,
Vertueux ayant bien raison,
Vaut autant boire du poison.

Je ne veux pas de maladie,
Ma fierté n’est pas refroidie,
J’entends la jeune mélodie.

J’entends le bruit de l’eau qui court,
J’entends gronder l’orage lourd,
L’art est long et le temps est court.

Tant mieux, puisqu’il y a des pêches,
Du vin frais et des filles fraîches,
Et l’incendie et ses flammèches.

On naît filles, on naît garçons.
On vit en chantant des chansons,
On meurt en buvant des boissons.

Charles CROS

mardi 17 septembre 2019

Pour ma mère


Il y a plus de fleurs
Pour ma mère en mon cœur,
Que dans tous les vergers ;
Plus de merles rieurs
Pour ma mère en mon cœur,
Que dans le monde entier ;
Et bien plus de baisers
Pour ma mère en mon cœur,
Qu’on n’en pourrait donner.

Maurice CAREME

lundi 16 septembre 2019

Traversée du désert


« Il est un silence de la paix quand les tribus sont conciliées, quand le soir ramène sa fraîcheur et qu’il semble que l’on fasse halte, voiles repliées, dans un port tranquille. Il est un silence de midi quand le soleil suspend les pensées et les mouvements. Il est un faux silence, quand le vent du nord a fléchi et que l’apparition d’insectes, arrachés comme du pollen aux oasis de l’intérieur, annonce la tempête d’est porteuse de sable. Il est un silence de complot, quand on connaît, d’une tribu lointaine, qu’elle fermente. Il est un silence du mystère, quand se nouent entre les Arabes leurs indéchiffrables conciliabules. Il est un silence tendu quand le messager tarde à revenir. Un silence aigu quand, la nuit, on retient son souffle pour entendre. Un silence mélancolique, si l’on se souvient de qui l’on aime.
Tout se polarise. Chaque étoile fixe une direction véritable. Elles sont toutes étoiles de mages. Elles servent toutes leur propre dieu. Celle-ci désigne la direction d’un puits lointain, dur à gagner. Et l’étendue qui vous sépare de ce puits pèse comme un rempart. Celle-là désigne la direction d’un puits tari. Et l’étoile elle-même paraît sèche. Et l’étendue qui vous sépare du puits tari n’a point de pente. Telle autre étoile sert de guide vers une oasis inconnue que les nomades vous ont chantée, mais que la dissidence vous interdit. Et le sable qui vous sépare de l’oasis est pelouse de contes de fées. Telle autre encore désigne la direction d’une ville blanche du Sud, savoureuse, semble-t-il, comme un fruit où planter les dents. Telle, de la mer.
Enfin des pôles presque irréels aimantent de très loin ce désert : une maison d’enfance qui demeure vivante dans le souvenir. Un ami dont on ne sait rien, sinon qu’il est.
Ainsi vous sentez-vous tendu et vivifié par le champ des forces qui tirent sur vous ou vous repoussent, vous sollicitent ou vous résistent. Vous voici bien fondé, bien déterminé, bien installé au centre de directions cardinales.
Et comme le désert n’offre aucune richesse tangible, comme il n’est rien à voir ni à entendre dans le désert, on est bien contraint de reconnaître, puisque la vie intérieure loin de s’y endormir s’y fortifie, que l’homme est animé d’abord par des sollicitations invisibles. L’homme est gouverné par l’Esprit. Je vaux, dans le désert, ce que valent mes divinités. »

Antoine de SAINT-EXUPERY, Lettre à un otage, in Œuvres complètes, vol. II, Paris, Gallimard, 1999, Coll. « La Pléiade », p. 93-94.

dimanche 15 septembre 2019

A fleur de terre


Il y a des fois où tu aimerais mieux être ailleurs, parce qu’il n’y a plus de bois pour mettre dans le feu.
Tu as beau frotter tes mains l’une contre l’autre, cela ne suffit plus.
Tu as beau arpenter le sol de tes pas silencieux ; rien n’en sort.
Toujours ton regard se dérobe, et tu te surprends à regarder le ciel ; sa blancheur te fascine.
Tu voudrais tout à coup te fondre en elle et y trouver ce qui t’appelle depuis toujours,
Ce que tu portes en toi
Depuis ton premier souffle,
Depuis ton premier cri,
Depuis que ce monde a décidé de vivre autour de toi.
Tu ouvres grand les yeux, et tu regardes.
La lumière enfante les plus fous de tes rêves.
Dans les courants sublimes tu pars et te déploies,
Tu ouvres grand ton âme à la lumière.
Il y a des fois où tu voudrais ne plus jamais fermer les yeux.
Devenir pour toujours ce que tu portes en toi
Comme un fruit jamais encore assez mûr.

Célia BORNERT

samedi 14 septembre 2019

Sur la grève

Couche-toi sur la grève et prends en tes deux mains,

Pour le laisser couler ensuite, grain par grain,

De ce beau sable blond que le soleil fait d'or ;

Puis, avant de fermer les yeux, contemple encor

La mer harmonieuse et le ciel transparent,

Et, quand tu sentiras, peu à peu, doucement,

Que rien ne pèse plus à tes mains plus légères,

Avant que de nouveau tu rouvres tes paupières,

Songe que notre vie à nous emprunte et mêle

Son sable fugitif à la grève éternelle.


Henri de REGNIER (Les Médailles d'argile)

vendredi 13 septembre 2019

EXCUSE

Aux arbres il faut un ciel clair,
L’espace, le soleil et l’air,

L’eau dont leur feuillage se mouille.

Il faut le calme en la forêt,

La nuit, le vent tiède et discret

Au rossignol, pour qu’il gazouille.

 

Il te faut, dans les soirs joyeux,

Le triomphe ; il te faut des yeux

Eblouis de ta beauté fière.

Au chercheur d’idéal il faut

Des âmes lui faisant là-haut

Une sympathique atmosphère.

 

Mais quand mauvaise est la saison,

L’arbre perd fleurs et frondaison.

Son bois seul reste, noir et grêle.

Et sur cet arbre dépouillé,

L’oiseau, grelotant et mouillé,

Reste muet, tête sous l’aile.

 

Ainsi ta splendeur, sur le fond

Que les envieuses te font,

Perd son nonchaloir et sa grâce.

Chez les nuls, qui ne voient qu’hier,

Le poète, interdit et fier,

Rêvant l’art de demain, s’efface.

 

Arbres, oiseaux, femmes, rêveurs

Perdent dans les milieux railleurs

Feuillage, chant, beauté, puissance.
Dans la cohue où tu te plais,

Regarde-moi, regarde-les,

Et tu comprendras mon silence.

 

Charles CROS (1842-1888)

jeudi 12 septembre 2019

Le petit Lapon


Je n'ai jamais vu de lama,

De tamanoir ni de puma.

 

Je n’ai pas été à Lima.

Ni à Fez, ni à Panama.

 

Je ne possède ni trois-mâts,

Ni charrette, ni cinéma.

 

Je ne suis qu’un petit Lapon

Qui sculpte de petits oursons

 

Avec un os, dans un glaçon.

 

 

Maurice CAREME (Pierres de lune. L’Ecole)


mercredi 11 septembre 2019

Le mauvais soir


La nuit se fait sereine et douce

Et tendre comme mon serment ;

Mes larmes tombent lentement

Sur cette main qui me repousse ;

 

La nuit se fait douce et sereine…

Une étoile est au fond des cieux ;

Puisses-tu lire dans mes yeux

L’amour que ta froideur refrène ;


La nuit se fait douce et sereine

Et ma voix t’implore tout bas.

Par pitié, ne m’écarte pas

De ton geste orgueilleux de reine.


La nuit se fait sereine et douce,

La lune luit sur le chemin,

Mes larmes tombent sur la main,

La main chère qui me repousse.

 


Henri de REGNIER





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mardi 10 septembre 2019

Il suffit de fort peu de chose ...


Il suffit de fort peu de chose

Au poète, pour être heureux : 

Un mot d’amour, de tendres yeux,

Un beau jour, un bouton de rose,



De l’air, un rayon de soleil,

Un éclair qui perce l’orage,

Un doux songe dans le sommeil, 

Un oiseau chantant sous l’ombrage,



Et le voilà gai comme un roi !

D’où vient à ses rayons cette ombre ?...

Puisqu’il lui faut si peu, pourquoi

Le poète est-il donc si sombre ?

 



Henri-Charles READ (1857-1876)

Le Ruisseau

    L ’ entendez-vous , l’entendez-vous   Le menu flot sur les cailloux ?   Il passe et court et glisse,  Et doucement dédie aux branches,...