La parole, on le sait, occupe une place prépondérante dans l'histoire des cures psychiques : elle soigne, elle répare, elle permet de lever les mauvais sorts et elle est parfois l'équivalent d'une confession. Elle possède des vertus cathartiques au même titre que le théâtre des Tragiques grecs, dont Freud se voulut d'ailleurs l'héritier. Elle permet au patient de se déprendre de son illusoire prétention à la maîtrise de soi et au thérapeute d'inventer des interprétations libératrices. (...) La parole peut aussi se transformer en un outil de destruction quand elle sert de support à des anathèmes, des rumeurs, des complots. Elle devient infâme, trompeuse, assassine dès lors qu'elle est maniée par des dictateurs ou des gourous qui savent capter la haine des peuples pour la retourner contre les élites. On sait que la parole et la voix de Hitler ont perverti la langue allemande tout en exerçant sur les foules un pouvoir de fascination hypnotique.
Elisabeth ROUDINESCO,
Lacan, envers et contre tout (2011)