mardi 22 octobre 2019

Si vous parliez, Seigneur ...

Si vous parliez, Seigneur, je vous entendrais bien,
Car toute humaine voix pour mon âme s'est tue,
     Je reste seule auprès de ma force abattue,
     J'ai quitté tout appui, j'ai rompu tout lien.

     Mon coeur méditatif et qui boit la lumière
   Vous aurait absorbé, si, transgressant les lois,
Comme le vent des nuits qui pénètre les pierres
   Votre verbe enflammé fût descendu sur moi !

Nul ne vous souhaitait avec tant d'indigence :
     Je vous aurais fêté au son du tympanon
Si j'avais, dans mon triste et studieux silence,
     Entendu votre voix et connu votre nom.

   Mais jamais rien à moi ne vous a révélé,
Seigneur ! ni le ciel lourd comme une eau suspendue,
     Ni l'exaltation de l'été sur les blés,
Ni le temple ionien sur la montagne ardue ;

     Ni les cloches qui sont un encens cadencé,
Ni le courage humain, toujours sans récompense,
   Ni les morts, dont l'hostile et pénétrant silence
     Semble un renoncement invincible et lassé ;

Ni ces nuits où l'esprit retient comme une preuve
     Son aspiration au bien universel ;
   Ni la lune qui rêve, et voit passer le fleuve
   Des baisers fugitifs sous les cieux éternels.

   Hélas ! ni les matins de ma brûlante enfance,
Où, dans les prés gonflés d'un nuage d'odeur,
   Je sentais, tant l'extase en moi jetait sa lance,
Un ange dans les cieux qui m'arrachait le coeur !

Anna de NOAILLES (1876-1933)
 

 


vendredi 18 octobre 2019

To Autumn

Season of mists and mellow fruitfulness,
Close bosom-friend of the maturing sun ;
Conspiring with him how to load and bless
With fruit the vines that round the thatch-eaves run ;
To bend with apples the moss'd cottage-tree,
And fill all fruit with ripeness to the core ;
To swell the gourd, and plump the hazel shells
With a sweet kernel ; to set budding more,
And still more, later flowers for the bees,
Until they think warm days will never cease,
For Summer has o'er-brimm'd their clammy cells.

John KEATS (1795-1821)

jeudi 17 octobre 2019

Plainte

Vrai sauvage égaré dans la ville de pierre,
A la clarté du gaz je végète et je meurs.
Mais vous vous y plaisez, et vos regards charmeurs
M'attirent à la mort, parisienne fière.

Je rêve de passer ma vie en quelque coin
Sous les bois verts ou sur les monts aromatiques,
En Orient, ou bien près du pôle, très loin,
Loin des journaux, de la cohue et des boutiques.

Mais vous aimez la foule et les éclats de voix,
Le bal de l'Opéra, le gaz et la réclame.
Moi, j'oublie, à vous voir, les rochers et les bois,
Je me tue à vouloir me civiliser l'âme.

Je m'ennuie à vous le dire si souvent :
Je mourrai, papillon brûlé, si cela dure...
Vous feriez bien pourtant, vos cheveux noirs au vent,
En clair peignoir ruché, sur un fond de verdure.

Charles CROS

mercredi 16 octobre 2019

Venasque

Les gels en meute vous rassemblent
Hommes plus ardents que buisson ;
Les longs vents d'hiver vous vont pendre.
Le toit de pierre est l'échafaud
d'une église glacée debout.

René CHAR

lundi 14 octobre 2019

Plus loin

Franchis la barrière
clouant le chemin
qui mène au sentier
qui mène au rocher
qui mène au caillou
posé dans la source
qui mène au caillou
d'ombre et de fraîcheur

Franchis la barrière
ouvrant le chemin
et rejoins la pierre
au bout du sentier
rejoins la fontaine
et le caillou blanc
posé dans la source
comme une chanson
gardée sous la langue.

Alain BOUDET

dimanche 13 octobre 2019

Excuse

Aux arbres il faut un ciel clair,
L'espace, le soleil et l'air,
L'eau dont leur feuillage se mouille.
Il faut le calme en la forêt,
La nuit, le vent tiède et discret

Au rossignol, pour qu'il gazouille.

Il te faut, dans les soirs joyeux,
Le triomphe; il te faut des yeux
Eblouis de ta beauté fière.
Au chercheur d'idéal il faut
Des âmes lui faisant là-haut
Une sympathique atmosphère.

Mais quand mauvaise est la saison,
L'arbre perd fleurs et frondaison.
Son bois seul reste, noir et grêle.
Et sur cet arbre dépouillé, 
L'oiseau, grelottant et mouillé,
Reste muet, tête sous l'aile.

Ainsi ta splendeur, sur le fond
Que les envieuses te font,
Perd son nonchaloir et sa grâce.
Chez les nuls, qui ne voient qu'hier,
Le poète, interdit et fier,
Rêvant l'art de demain, s'efface.

Arbres, oiseaux, femmes, rêveurs
Perdent dans les milieux railleurs
Feuillage, chant, beauté, puissance.
Dans la cohue où tu te plais,
Regarde-moi, regarde-les,
Et tu comprendras mon silence.

Charles CROS (1842-1888)

samedi 12 octobre 2019

Chanson du chat qui dort

Chat, chat, chat
Chat noir, chat blanc, chat gris,
Charmant chat couché, 
Chat, chat, chat,

N'entends-tu pas les souris
Danser à trois des entrechats
Sur le plancher ?

Le bourgeois ronfle dans son lit,
De son bonnet de coton coiffé
Et la lune regarde à la vitre :
Dansez souris, dansez jolies,
Dansez vite,
En remuant vos fines queues de fées.

Tristan KLINGSOR

vendredi 11 octobre 2019

SONNET CXVI

Let me not to the marriage of true mInds
Admit impediments. Love is not love
Which alters when it alteration finds,
Or bends with the remover to remove :
O, no ! it is an ever-fixed mark,
That looks on tempest and is never shaken ;
It is the star to every wand'ring bark,
Whose worth's unknown, although his height be taken.
Love's not Time's fool, though rosy lips and cheeks
Within his bending sickle's compass come ;
Love alters not with his brief hours and weeks,
But bears it out even to the edge of doom : -
     If this be error and upon me proved,
     I never writ, nor no man ever loved.

William SHAKESPEARE (1564-1616)






jeudi 10 octobre 2019

Sonnet astronomique

Alors que finissait la journée estivale,
Nous marchions, toi pendue à mon brass, moi rêvant
A ces mondes lointains dont je parle souvent.
Ainsi regardais-tu chaque étoile en rivale.

Au retour, à l'endroit où la côte dévale,
Tes genoux ont fléchi sous le charme énervant
De la soirée et des senteurs qu'avait le vent.
Vénus, dans l'ouest doré, se baignait triomphale.

Puis, las d'amour, levant les yeux languissamment,
Nous avons eu tous deux un long tressaillement
Sous la sérénité du rayon planétaire.

Sans doute, à cet instant, deux amants, dans Vénus,
Arrêtés en des bois aux parfums inconnus,
Ont, entre deux baisers, regardé notre terre.

Charles CROS (1842-1888)

mercredi 9 octobre 2019

Automne

Voilà les feuilles sans sève
Qui tombent sur le gazon ;
Voilà le vent qui s'élève
Et gémit dans le vallon ;
Voilà l'errante hirondelle
Qui rase du bout de l'aile
L'eau dormante des marais ;
Voilà l'enfant des chaumières
Qui glane sur les bruyères
Le bois tombé des forêts.

Alphonse de LAMARTINE

mardi 8 octobre 2019

Au bord des ruisseaux

Sur les cailloux, l'eau des ruisseaux
Fait comme un bruit de voix lointaines.
Coulez encore, ô fraîches eaux,
Votre murmure endort mes peines.

Jean-Marc BERNARD

lundi 7 octobre 2019

Les roses de Saadi

De ces jadins délicieux,
Surgis sous mes paupières closes,
J'aurais voulu cueillir les roses
Pour en parfumer nos adieux.

Mais l'odeur de ces fleurs humides,
Hélas ! m'enivra lentement ;
Je défaillis ... et maintenant
Je ne t'offre que mes mains vides.

Jean-Marc BERNARD

dimanche 6 octobre 2019

La ressemblance

Sur tes riches tapis, sur ton divan qui laisse
Au milieu des parfums respirer la mollesse,
En ce voluptueux séjour,
Où loin de tous les yeux, loin des bruits de la terre,
Les voiles enlacés semblent, pour un mystère, 
Eteindre les rayons du jour,

Ne t'enorgueillis pas, courtisane rieuse,
Si, pour toutes tes soeurs ma bouche sérieuse
Te sourit aussi doucement,
Si, pour toi seule ici, moins glacée et moins lente,
Ma main sur ton sein nu s'égare, si brûlante
Qu'on me prendrait pour un amant.

Ce n'est point que mon coeur soumis à ton empire,
Au charme décevant que ton regard inspire
Incapable de résister,
A cet appât trompeur se soit laissé surprendre
Et ressente un amour que tu ne peux comprendre,
Mon pauvre enfant ! ni mériter.

Non : ces rires, ces pleurs, ces baisers, ces morsures,
Ce cou, ces bras meurtris d'amoureuses blessures,
Ces transports, cet oeil enflammé ;
Ce n'est point un aveu, ce n'est point un hommage
Au moins : c'est que tes traits me rappellent l'image
D'une autre femme que j'aimai.

Elle avait ton parler, elle avait ton sourire,
Cet air doux et rêveur qui ne peut se décrire.
Et semble implorer un soutien ;
Et de l'illusion comprends-tu la puissance ?
On dirait que son oeil, tout voilé d'innocence,
Lançait des feux comme le tien.

Allons : regarde-moi de ce regard si tendre,
Parle-moi, touche-moi, qu'il me semble l'entendre
Et la sentir à mes côtés.
Prolonge mon erreur : que cette voix touchante
Me rende des accents si connus et me chante
Tous les airs qu'elle m'a chantés !

Hâtons-nous, hâtons-nous ! Insensé qui d'un songe
Quand le jour a chassé le rapide mensonge,
Espère encore le ressaisir !
Qu'à mes baisers de feu ta bouche s'abandonne,
Viens, que chacun de nous trompe l'autre et lui donne
Toi le bonheur, moi le plaisir !

Félix ARVERS

samedi 5 octobre 2019

Odelette

Un petit roseau m'a suffi
Pour faire frémir l'herbe haute
Et tout le pré
Et les doux saules
Et le ruisseau qui chante aussi ;
Un petit roseau m'a suffi
A faire chanter la forêt.

Ceux qui passent l'ont entendu
Au fond du soir, en leurs pensées,
Dans le silence et dans le vent,
Clair ou perdu,
Proche ou lointain...
Ceux qui passent, en leurs pensées,
En écoutant au fond d'eux-mêmes
L'entendront encore et l'entendent
Toujours qui chante.
Il m'a suffi
De ce petit roseau cueilli,
A la fontaine où vint l'Amour
Mirer un jour
Sa face grave
Et qui pleurait,
Pour faire pleurer ceux qui passent
Et trembler l'air et frémir l'eau ;
Et j'ai, du souffle d'un roseau,
Fait chanter toute la forêt.

Henri de RÉGNIER, Les jeux rustiques et divins)

jeudi 3 octobre 2019

Le jour

Tout est ravi quand vient le jour
Dans les cieux flamboyants d'aurore.
Sur la terre en fleur qu'il décore
La joie immense est de retour.

Les feuillages au pur contour
Ont un bruissement sonore ;
Tout est ravi quand vient le jour
Dans les cieux flamboyants d'aurore.

La chaumière comme la tour
Dans la lumière se colore,
L'eau murmure, la fleur adore,
Les oiseaux chantent, fous d'amour.
Tout est ravi quand vient le jour.

Théodore de BANVILLE

mercredi 2 octobre 2019

En été, les lis et les roses ...

En été, les lis et les roses
Jalousaient ses tons et ses poses.

La nuit, par l'odeur des tillleuls
Nous nous en sommes allés seuls.

L'odeur de son corps, sur la mousse,
Est plus enivrante que douce.

En revenant le long des blés,
Nous étions tous deux bien troublés.

Comme les blés que le vent frôle,
Elle ployait sur mon épaule.

***

L'automne fait les bruits froissés
De nos tumultueux baisers.

Dans l'eau tombent les feuilles sèches
Et, sur ses yeux, les folles mèches.

Voici les pêches, les raisins,
J'aime mieux sa joue et ses seins.

Que me fait le soir triste et rouge,
Quand sa lèvre boudeuse bouge ?

Le vin qui coule des pressoirs
Est moins traître que ses yeux noirs.

Charles CROS

mardi 1 octobre 2019

Mère

La cuisine est si calme
En ce matin d'avril
Qu'un reste de grésil
Rend plus dominical.

Le printemps, accoudé
Aux vitres, rit de voir
Son reflet dans l'armoire
Soigneusement cirée.

Les chaises se sont tues.
La table se rendort
Sous le poids des laitues
Encore lourdes d'aurore.

Et à peine entend-on, 
Horloge familière,
L'humble coeur de ma mère
Qui bat dans la maison.

Maurice CARÈME

Le Ruisseau

    L ’ entendez-vous , l’entendez-vous   Le menu flot sur les cailloux ?   Il passe et court et glisse,  Et doucement dédie aux branches,...