dimanche 31 mai 2009

La colombe de l'Esprit

L'homme ne vit pas seulement d'intelligence ou d'action. Il est vivant lorsqu'il aime et lorsqu'il se sait aimé. C'est tellement simple que cela paraît stupide ! Quiconque a été une seule fois amoureux, vraiment, a compris l'essentiel. Il sait de science irréfutable que la bien-aimée est unique et qu'elle ne peut pas mourir. Il sait que cet amour qui l'emporte vient de plus loin que lui et l'entraînera toujours plus loin que lui. Cet amour est comme la colombe porteuse d'un rameau d'olivier. Il est l'annonce d'une terre ferme après le déluge.

Stan ROUGIER, in Olivier CLEMENT, La révolte de l'Esprit

samedi 30 mai 2009

Adoration

Tel l'océan de juillet sous la brise,
ton corps dispense l'ivresse fraîche et bonne :
neige et roses.

Rosée dans la forêt de mai, merisiers près de la source
n'ont pas de plus doux parfum
que tes lèvres parfumées.
Splendeur éblouissante de l'être -
vois la poussière où tu marches
avec adoration baiser
le balbutiant
esclave.

Vilhelm EKELUND (1880-1949)

vendredi 29 mai 2009

La Rose

Je suis belle car j'ai poussé dans le jardin de mon amant.
Dehors sous la pluie printanière j'ai bu le désir,
dehors sous le soleil j'ai bu le feu -
maintenant je suis ouverte et j'attends.

Edith SÖDERGRAN (1892-1923)

jeudi 28 mai 2009

Les marronniers las penchent

Les marronniers las penchent
après l'orage leurs lourds
thyrses blancs.
Les grappes mauves
des lilas humides
se balancent doucement.
Craintifs, hésitants,
les rossignols commencent à chanter

O mon coeur ! Tu es baigné
par l'infinie consolation
de la nouvelle naissance
et de la quiétude;
ô mon coeur ! Ta chanson
sera sur le mode mineur
chanson muette au Désir.

Vilhelm EKELUND (1880-1949)

mercredi 27 mai 2009

Lettre

Non, ce n'est pas en vous « un idéal » que j'aime,
C'est vous tout simplement, mon enfant, c'est vous-même.
Telle Dieu vous a faite, et telle je vous veux.
Et rien ne m'éblouit, ni l'or de vos cheveux,
Ni le feu sombre et doux de vos larges prunelles,
Bien que ma passion ait pris sa source en elles.
Comme moi, vous devez avoir plus d'un défaut ;
Pourtant c'est vous que j'aime et c'est vous qu'il me faut.
Je ne poursuis pas là de chimère impossible ;
Non, non ! mais seulement, si vous êtes sensible
Au sentiment profond, pur, fidèle et sacré,
Que j'ai conçu pour vous et que je garderai,
Et si nous triomphons de ce qui nous sépare,
Le rêve, chère enfant, où mon esprit s'égare,
C'est d'avoir à toujours chérir et protéger
Vous comme vous voilà, vous sans y rien changer.
Je vous sais le coeur bon, vous n'êtes point coquette ;
Mais je ne voudrais pas que vous fussiez parfaite,
Et le chagrin qu'un jour vous me pourrez donner,
J'y tiens pour la douceur de vous le pardonner.
Je veux joindre, si j'ai le bonheur que j'espère,
À l'ardeur de l'amant l'indulgence du père
Et devenir plus doux quand vous me ferez mal.
Voyez, je ne mets pas en vous «un idéal,»
Et de l'humanité je connais la faiblesse ;
Mais je vous crois assez de coeur et de noblesse ;
Pour espérer que, grâce à mon effort constant,
Vous m'aimerez un peu, moi qui vous aime tant !

François COPPEE

mardi 26 mai 2009

De la maternité

Se déployant sur des décennies, s'articulant le plus souvent à une ou plusieurs autres activités dans la vie de la femme, c'est une activité d'intelligence, d'interaction verbale et physique, une relation à nulle autre pareille : ni purement pédagogique, sentimentale, ou économique, ni échange entre égaux, ni rapport de forces...mais lien en perpétuelle transformation, responsabilité destinée à se déprendre. Pourquoi, en Europe, a-t-elle été jugée digne de si peu de réflexions et donc de si peu de reconnaissance ?

Nancy HUSTON, On ne naît pas homme in "Le Monde" daté 17-18 mai 2009.

lundi 25 mai 2009

L'homme et la femme

Un jour qu'il dialoguait avec cette grande pionnière de la psychanalyse française qu'était Marie Bonaparte, il [Freud] lui confia:
L'immense interrogation restée sans réponse et à laquelle moi-même je n'ai jamais pu répondre malgré mes trente années d'étude de l'âme féminine est la suivante : "Que veut une femme ?"
Aujourd'hui, un siècle plus tard, la question du désir féminin demeure entière et se double d'une autre, tout aussi énigmatique sur l'éternel masculin, que je paraphraserai ainsi: "Que peut - et non "que veut" - un homme ?
La problématique de la femme est celle du vouloir, la problématique de l'homme est celle du pouvoir. Entendons-nous bien. Dans notre formule, le mot "pouvoir" n'est pas synonyme de puissance politique ou sociale, il exprime plutôt la conviction intime qu'éprouve un homme d'être capable d'accomplir une action. L'interrogation "Que peut un homme ?" condense toutes les variantes du doute masculin face à l'épreuve: "Serai-je à la hauteur de la tâche? Pourrai-je y parvenir? Suis-je suffisamment préparé ?" Je définirai l'angoisse masculine comme la crainte de ne pouvoir satisfaire l'attente de l'autre. Quel autre ? Avant tout une femme, ou encore tel homme investi d'une autorité.(...)

...l'homme d'aujourd'hui est un être désemparé qui n'a plus rien à offrir et se croit indigne d'amour. Il veut qu'on l'aime non pour ce qu'il est, mais pour ce qu'il pourrait être, donner ou faire. En fait, pour un homme, le vrai pouvoir réside non pas dans la possession matérielle ou dans l'exercice d'une fonction hiérarchique, mais dans son aptitude à tirer de lui-même plus qu'il n'y a effectivement en lui. C'est cela le pouvoir : être capable de se surpasser, de se propulser vers l'avenir.

Juan-David NASIO, Un psychanalyste sur le divan, Paris, Payot & Rivages, 2002, pp. 75-76.

dimanche 24 mai 2009

L'amour est plus qu'un sentiment...

Love, of course, means something much more than mere sentiment, much more than token favors and perfunctory almsdeeds. Love means an interior and spiritual identification with one's brother, so that he is not regarded as an "object" to "which" one "does good." The fact is that good done to another as to an object is of little or no spiritual value. Love takes one's neighbour as one's other self, and loves him with all the immense humility and discretion and reserve and reverence without which no one can presume to enter into the sanctuary of another's subjectivity. From such love all authoritarian brutality, all exploitation, domineering and condescension must necessarily be absent. The saints of the desert were enemies of every subtle or gross expedient by which "the spiritual man" contrives to bully those he thinks inferior to himself, thus gratifying his own ego. They had renounced everything that savoured of punishment and revenge, however hidden it might be.

Thomas MERTON
, The Wisdom of the Desert (1960)


Certes, l’amour est bien davantage qu’un simple sentiment, que des témoignages d’amitié et des aumônes. Aimer, c’est s’identifier intérieurement et spirituellement avec autrui, de sorte que nous ne le considérons plus comme un « objet » auquel nous faisons du bien. En fait, le bien effectué dans ces conditions n’a que peu ou pas de valeur. L’amour considère son prochain comme un autre lui-même, et l’aime avec l’humilité et la discrétion profondes, la réserve et le respect sans lesquels nous ne devons pas prendre la liberté de pénétrer dans le sanctuaire de sa subjectivité. Cet amour doit obligatoirement ne comporter ni brutalité autoritaire, ni exploitation, ni tyrannie, ni condescendance. Les saints du désert s’opposaient à tout expédient, grossier ou subtil, dont l’ « homme spirituel » peut se servir pour intimider ceux qu’il juge inférieurs à lui, afin de satisfaire son ego. Ils avaient renoncé à tout ce qui sentait le châtiment et la vengeance, pour secrets qu’ils fussent.

La Sagesse du Désert
. Trad. fçse par Marie Tadié, Paris, Albin Michel, 1967.

samedi 23 mai 2009

Sans titre

Est-ce toi, silencieuse, effacée,
Que voici tout feu, toute flamme ?
Je voudrais enfermer ta beauté
Au donjon ténébreux d'un poème.

Vois comment l'abat-jour transfigure
De son cuir embrasé d'un feu sombre
Le réduit, la cloison, l'embrasure,
Nos contours, le tracé de nos ombres.

Tu t'assieds, ramenant tes genoux
Près de toi sur la molle ottomane.
Nuit et jour et toujours et partout,
Tes raisons sont toujours enfantines.

Je te vois enfiler en rêvant
Quelques perles au creux de ta jupe.
Ton regard est trop triste, et trop franc
Ton parler sans détours et sans ruses.

Oui, amour est un mot trop usé :
Je saurai t'inventer autre chose,
Te créer d'autres mots, baptiser
A nouveau, si tu veux, toute chose.

Ton air sombre est-il fait pour trahir
Le filon de ton coeur, son alliage
Rayonnant en secret ? Mais alors
A quoi bon sur tes yeux ce nuage ?

Boris PASTERNAK (été 1956)

vendredi 22 mai 2009

OMBRES

Au mal :

Nous étions deux à nous chauffer au même feu
Feu qui brûla le sang des forêts tropicales
Et qui faisait au ciel monter les feuilles sèches
Flammes lourdes d’en bas la terre pour tanière
Et danse dans les yeux au-delà des étoiles

Nous étions deux à nous chauffer au même feu
Chargé d’amour comme de plomb comme de plumes
Dans la douleur et dans la joie nous n’étions qu’un
Même couleur et même odeur même saveur
Mêmes passions même repos même équilibre

Nos gestes notre voix se détendaient ensemble
L’or de notre mémoire avait la même gangue
Et nos baisers suivaient une route semblable
Je t’embrassais tu m’embrassais je m’embrassais
Tu t’embrassais sans bien savoir qui nous étions

Tu tremblais tout entière entre mes mains tremblantes
Nous descendions la même pente vers le feu
De la présence et de l’absence vers le feu
Vers son délire et vers ses cendres vers la fin
De notre union la fin de l’homme avec la femme

Comment aurions-nous pu nous penser séparés
Nous qui filions nos jours et nos nuits en rêvant
Amants d’un temps commun amants de chair jumelle
Rien ne changeait de sens ni d’accent pour nous deux
Dans les plis de nos draps nous nous croyions utiles.

Paul ELUARD, Une leçon de morale (1950)

jeudi 21 mai 2009

Jeudi de l'Ascension

La sainteté n’est pas un accomplissement de soi, ni une plénitude que l’on se donne. Elle est d’abord un vide que l’on se découvre et que l’on accepte et que Dieu vient remplir dans la mesure où l’on s’ouvre à sa plénitude.

Saint François d’Assise

mercredi 20 mai 2009

Hope in Heaven's Day

Grief be mine, I ask you so,
If not for you, I wouldn't know,
How life once was and then be still,
How so precious, that death do steal.
Because that grief, won't go away,
Learn to let it have its way.
The link to love, a precious one,
Is met with grief and still not done.
The days do come, and nights do go,
Grief will stay as time is so.
And so a loved one passes on,
And grief comes in and carries on.
Does grief get better, I will ask,
It's hard to say, while at its task.
There is grief to help us cope,
There is God to give us hope.
Grief will surely go away,
On that glorious heaven's day.
But while its here, there's just one thing,
Pray our Lord, for peace he'll bring.

Arlene DERY

mardi 19 mai 2009

Gens de mer

Berceuse en nord-ouest mineur

Trou de contrebandiers, vieux nid
de corsaires, dans la tourmente,
Dors. Dors ton sommeil de granit
sur tes caves que la mer hante.
Dors à la mer, dors à la brise.
ta tête dans la brume grise,
ton pié-marin dans les brisans.
Dors. Tu peux fermer ton œil borgne
ouvert sur le large, et qui lorgne
les Anglais depuis trois-cents-ans-

Dors, laisse monter la marée
Roscoff
Dors, vieille fille à matelots - …
Ils n’écumeront plus, ces flôts
qui te faisaient une ceinture
rouge de sang, rouge de vin,
rouge de feu. Dors – sur ton sein
l’or ne fondra plus en friture

Tristan CORBIERE, Poèmes autographes des Amours jaunes

lundi 18 mai 2009

Ce qui dure

Le présent se fait vide et triste,
ô mon amie, autour de nous ;
combien peu de passé subsiste !
Et ceux qui restent changent tous.
Nous ne voyons plus sans envie
les yeux de vingt ans resplendir,
et combien sont déjà sans vie
des yeux qui nous ont vus grandir !
Que de jeunesse emporte l' heure,
qui n' en rapporte jamais rien !
Pourtant quelque chose demeure :
je t' aime avec mon coeur ancien,
mon vrai coeur, celui qui s' attache
et souffre depuis qu' il est né,
mon coeur d' enfant, le coeur sans tache
que ma mère m' avait donné ;
ce coeur où plus rien ne pénètre,
d' où plus rien désormais ne sort ;
je t' aime avec ce que mon être
a de plus fort contre la mort ;
et, s' il peut braver la mort même,
si le meilleur de l' homme est tel
que rien n' en périsse, je t' aime
avec ce que j' ai d' immortel.

Sully PRUDHOMME

dimanche 17 mai 2009

Soif

Il nous est demandé d'avoir soif, de nous ouvrir à Dieu pour laisser sourdre au fond de notre âme cette soif de grâce que seul le Seigneur étanchera : « Qui boira de l'eau que je lui donnerai n'aura plus jamais soif. » Cette parole s'adresse à tous sans exception, ni condition préalable; quels que soient nos péchés passés, notre médiocrité, notre insensibilité spirituelle, il suffit de croire à l'Amour, de croire que tout est toujours possible, que rien n'est irrévocable, ni échec ni infidélité. La grâce de Dieu peut tout guérir, tout sauver; retourner à Dieu est toujours un commencement absolu car la puissance de Dieu est sans limite.

Jean DANIELOU, Eléments de spiritualité

samedi 16 mai 2009

Au Vésuve (Vésuves et Cie)

Railway di Pompeia – C’est moi, Vésuve, et toi ?
Est-ce toi cette fois, cette bonne montagne ?
Toi que je vis jadis tout petit en Bretagne
Sur un bel abat-jour chez une tante à moi.

Tu te découpais noir sur un fond transparent
Et la lampe grillait les feux de ton cratère.
C’était le confesseur, je crois, de ma grand’mère
Qui t’avait rapporté de Rome, tout flambant –

J’ai vu ton frère ou toi devant de cheminée,
A Marseille ; mais là tu n’avais plus de feu,
Bleu sur fond rose avec ta Méditerranée
Te reflétant en bas, rose sur un fond bleu.

Tristant CORBIERE
, Amours jaunes

vendredi 15 mai 2009

Il n'y a pas d'amour heureux

Rien n'est jamais acquis à l'homme, ni sa force
Ni sa faiblesse, ni son coeur. Et quand il croit
Ouvrir ses bras, son ombre est celle d'une croix
Et quand il croit serrer son bonheur, il le broie
Sa vie est un étrange et douloureux divorce

Il n'y a pas d'amour heureux


Sa vie, elle ressemble à ces soldats sans armes
Qu'on avait habillés pour un autre destin
A quoi peut leur servir de se lever matin
Eux qu'on retrouve au soir désoeuvrés incertains
Dites ces mots " Ma vie " et retenez vos larmes

Il n'y a pas d'amour heureux

Mon bel amour, mon cher amour, ma déchirure
Je te porte dans moi comme un oiseau blessé
Et ceux-là sans savoir nous regardent passer
Répétant après moi les mots que j'ai tressés
Et qui, pour tes grands yeux, tout aussitôt moururent

Il n'y a pas d'amour heureux


Le temps d'apprendre à vivre il est déjà trop tard
Que pleurent dans la nuit nos coeurs à l'unisson
Ce qu'il faut de malheur pour la moindre chanson
Ce qu'il faut de regrets pour payer un frisson
Ce qu'il faut de sanglots pour un air de guitare

Il n'y a pas d'amour heureux


Il n'y a pas d'amour qui ne soit à douleur
Il n'y a pas d'amour dont on ne soit meurtri
Il n'y a pas d'amour dont on ne soit flétri
Et pas plus que de toi l'amour de la patrie
Il n'y a pas d'amour qui ne vive de pleurs

Il n'y a pas d'amour heureux
Mais c'est notre amour à tous deux


Louis ARAGON, La Diane française, Paris, Seghers, 1946.

jeudi 14 mai 2009

Le Destin

One's in the hands of one's law - there one is. As to the form the law will take, the way it will operate, that's its own affair. [1]

Henry JAMES, The Beast in the Jungle (1903)
_________________________

[1] Chacun est sous le coup de sa propre loi. Quant à la forme que prendra le destin, la manière dont il se présentera, ce n'est pas de notre ressort.

Trad. frçse par Fabrice Hugot : La Bête dans la Jungle, Paris, Criterion, 1991, p. 45.

mercredi 13 mai 2009

La nuit de mai (fragment)

La Muse

Poète, prends ton luth et me donne un baiser;
La fleur de l'églantier sent ses bourgeons éclore,
Le printemps naît ce soir; les vents vont s'embraser;
Et la bergeronnette, en attendant l'aurore,
Aux premiers buissons verts commence à se poser.
Poète, prends ton luth, et me donne un baiser.

Le Poète

Comme il fait noir dans la vallée !
J'ai cru qu'une forme voilée
Flottait là-bas sur la forêt.
Elle sortait de la prairie;
Son pied rasait l'herbe fleurie;
C'est une étrange rêverie;
Elle s'efface et disparaît.

La Muse

Poète, Prends ton luth; la nuit, sur la pelouse,
Balance le zéphyr dans son voile odorant.
La rose, vierge encor, se referme jalouse
Sur le frelon nacré qu'elle enivre en mourant.
Ecoute ! tout se tait; songe à ta bien aimée.
Ce soir, sous les tilleuls, à la sombre ramée
Le rayon du couchant laisse un adieu plus doux.
Ce soir, tout va fleurir : l'immortelle nature
Se remplit de parfums, d'amour et de murmure,
Comme le lit joyeux de deux jeunes époux.

Alfred de MUSSET, La nuit de mai

mardi 12 mai 2009

N'être rien

1er mars 1917

Je ne sais. Un sens me fait défaut, une prise
sur la vie, sur l'amour, sur la gloire...
A quoi bon une quelconque histoire,
un quelconque destin ?

Je suis seul, d'une solitude jamais atteinte,
creux en dedans, sans futur ni passé.
Sans me voir, semble-t-il, s'écoulent les instants,
mais ils passent sans que leur pas soit léger.

Je prends un livre, mais ce qui reste à lire déjà me lasse,
veux-je penser, ma conclusion d'avance me fait mal.
Le rêve me pèse avant d'être rêvé. Sentir
a terriblement l'air du déjà vu.

N'être rien, être une figure de roman,
sans vie, sans mort matérielle, une idée,
une chose que rien ne rende utile ou laide,
une ombre sur un sol irréel, un songe épouvanté.

Fernando PESSOA, Poésies d'Alvaro de Campos

lundi 11 mai 2009

L'inconnue

Je ne la connais point, je ne l'ai jamais vue.
Pourquoi veut le destin que je l'aime si fort ?
Il est vrai que cent fois on m'a fait le rapport
De rares qualités dont le ciel l'a pourvue.

Que sera-ce de moi quand je l'aurai connue ?
Sans doute ma raison fera naufrage au port.
Que m'en dois-je promettre, ou la vie ou la mort,
Puisque déjà son nom me fait vivre et me tue ?

Mais qu'est-ce que l'amour me vient persuader ?
Une ombre m'est sensible et m'oblige à fonder
Sur un bruit incertain ma tristesse ou ma joie.

Loin de moi désormais ces discours superflus,
J'en veux croire mes yeux; il faut que je la voie
Pour l'aimer davantage ou pour ne l'aimer plus.

Jean OGIER de GOMBAULD

dimanche 10 mai 2009

Memento etiam, Domine...

La mémoire est la faculté qui modèle l’identité des êtres humains au niveau tant personnel que collectif. C’est en effet par elle que se forme et se définit dans la psyché de la personne la perception de son identité.

A bien y regarder, la mémoire appartient au mystère de la femme plus qu’à celui de l’homme.

JEAN-PAUL II, Mémoire et identité, pp. 173 et 179.

samedi 9 mai 2009

L'effort

...
Je vous aime, gars des pays blonds, beaux conducteurs
De hennissants et clairs et pesants attelages,
Et vous, bûcherons roux des bois pleins de senteurs,
Et toi, paysan fruste et vieux des blancs villages,
Qui n'aimes que les champs et leurs humbles chemins
Et qui jettes la semence d'une ample main
D'abord en l'air, droit devant toi, vers la lumière,
Pour qu'elle en vive un peu, avant de choir en terre ;
Et vous aussi, marins qui partez sur la mer
Avec un simple chant, la nuit, sous les étoiles,
Quand se gonflent, aux vents atlantiques, les voiles
Et que vibrent les mâts et les cordages clairs ;
Et vous, lourds débardeurs dont les larges épaules
Chargent ou déchargent, au long des quais vermeils,
Les navires qui vont et vont sous les soleils
S'assujettir les flots jusqu'aux confins des pôles...

Émile VERHAEREN, La multiple splendeur

vendredi 8 mai 2009

Commémoration du 8 mai 1945

... We shall strive for perfection. We shall not achieve it immediately - but we still shall strive. We may make mistakes - but they must never be mistakes which result from faintness of heart or abandonment of moral principle (…)

… today, in this year of war, 1945, we have learned lessons- at a fearful cost-and we shall profit by them.

We have learned that we cannot live alone, at peace; that our own well-being is dependent on the well-being of other nations far away. We have learned that we must live as men, not as ostriches, nor as dogs in the manger.

We have learned to be citizens of the world, members of the human community.

We have learned the simple truth, as Emerson said, that "The only way to have a friend is to be one." We can gain no lasting peace if we approach it with suspicion and mistrust or with fear.

We can gain it only if we proceed with the understanding, the confidence, and the courage which flow from conviction.

President Franklin D. ROOSEVELT
, on Jan. 20, 1945, in Washington D.C.

jeudi 7 mai 2009

Le Mal

Une grande inquiétude règne de par le monde. Les exilés ne sont pas seuls à errer. Avec une insistance, une angoisse, un désespoir, une espérance sans pareils depuis des siècles, l'homme est à la recherche de son destin, de son avenir. Vers Dieu, dont la face demeure cachée, monte à chaque heure du jour, ce cri cent fois renouvelé : Seigneur, où nous mènes-tu ? Qu'entends-tu faire de nous ? Quel chemin devons-nous prendre ? Vois : nous sommes sur le point de nous perdre ! (...)


Une attitude tolérante en face du Mal ne s'explique jamais par des motifs nobles, mais par la lâcheté.

Klaus MANN, Le Volcan

mercredi 6 mai 2009

Le regret de l'amour

Le regret de l'amour, c'est l'amour. Ce qu'ils recevaient l'un de l'autre, cependant ils ne le recevront de nul au monde.

Antoine de SAINT-EXUPERY
, Citadelle

mardi 5 mai 2009

Renouveau

From the French

Now Time throws off his cloak again
Of ermined frost, and cold and rain,
And clothes him in the embroidery
Of glittering sun and clear blue sky.

With beast and bird the forest rings,
Each in his jargon cries or sings ;
And Time throws off his cloak again
Of ermined frost, and cold and rain.

River, and fount, and tinkling brook
Wear in their dainty livery
Drops of silver jewelry ;
In new-made suit they merry look ;
And Time throws off his cloak again
Of ermined frost, and cold and rain.

Henry Wadsworth LONGFELLOW
, Translations [1]
_____________________
[1] cf. Rondeau de Printemps de René Charles d'Orléans.

lundi 4 mai 2009

Ode

While Earth herself is adorning,
This sweet May-morning,
And the Children are culling
On every side,
In a thousand valleys far and wide,
Fresh flowers; while the sun shines warm,
And the Babe leaps up on his Mother's arm (...)

Then sing, ye Birds, sing, sing a joyous song !
And let the young Lambs bound
As to the tabor's sound !
We in thought will join your throng,
Ye that pipe and ye that play,
Ye that through your hearts today
Feel the gladness of the May ! [1]

William WORDSWORTH, Intimations of Immortality from recollections of early childhood (published 1807)
____
[1] Pour Lara.

dimanche 3 mai 2009

Louange à Toi, Lumière du monde

Peut-être qu'il existe une maison dans cette cité dont la porte s'ouvre pour toujours ce matin aux rayons du soleil levant, et leur message de lumière est accompli.

Les fleurs se sont ouvertes dans les jardins et dans les haies, et peut-être qu'il existe un coeur auquel elles ont révélé ce matin le don qui cheminait à travers les siècles.

Rabindranath TAGORE
, La Corbeille de fruits

samedi 2 mai 2009

Rondeau de printemps

Le temps a laissé son manteau
De vent, de froidure et de pluie,
Et s'est vêtu de broderie,
De soleil luisant, clair et beau.

Il n'y a bête ni oiseau
Qu'en son jargon ne chante ou crie :
Le temps a laissé son manteau
De vent, de froidure et de pluie.

Rivière, fontaine et ruisseau
Portent en livrée jolie
Gouttes d'argent, d'orfèvrerie ;
Chacun s'habille de nouveau :
Le temps a laissé son manteau.

René Charles d'ORLEANS (1394-1465)

vendredi 1 mai 2009

La halte des heures

Immenses mots dits doucement
Grand soleil les volets fermés
Un grand navire au fil de l’eau
Ses voiles partagent le vent

Bouche bien faite pour cacher
Une autre bouche et le serment
De ne rien dire qu’à deux voix
Du secret qui raye la nuit

Le seul rêve des innocents
Un seul murmure un seul matin
Et les saisons à l’unisson
Colorant de neige et de feu

Une foule enfin réunie.

Paul ELUARD, Sur les pentes inférieures (1941)

Le Ruisseau

    L ’ entendez-vous , l’entendez-vous   Le menu flot sur les cailloux ?   Il passe et court et glisse,  Et doucement dédie aux branches,...