lundi 30 septembre 2019

Allons voir le matin se lever

Viens. Sur tes cheveux noirs jette un chapeau de paille.
Avant l'heure du bruit, l'heure où chacun travaille,
Allons voir le matin se lever sur les monts
Et cueillir par les prés les fleurs que nous aimons.
Sur les bords de la source aux moires assouplies,
Les nénuphars dorés penchent des fleurs pâlies.
Il reste dans les champs et dans les grands vergers
Comme un écho voisin des chansons des bergers;
Et, secouant pour nous leurs ailes odorantes,
Les brises du matin, comme des soeurs errantes,
Jettent déjà vers toi, tandis que tu souris,
L'odeur du pêcher rose et des pommiers fleuris.

Théodore de BANVILLE

vendredi 27 septembre 2019

Sonnet

Je sais faire des vers perpétuels. Les hommes
Sont ravis à ma voix qui dit la vérité.
La suprême raison dont j'ai fier, hérité
Ne se payerait pas avec toutes les sommes.

J'ai tout touché : le feu, les femmes et les pommes ;
J'ai tout senti : l'hiver, le printemps et l'été ;
J'ai tout trouvé, nul mur ne m'ayant arrêté.
Mais Chance, dis-moi donc de quel nom tu te nommes ?

Je me distrais à voir à travers les carreaux
Des boutiques, les gants, les truffes et les chèques
Où le bonheur est un suivi de six zéros.

Je m'étonne, valant bien les rois, les évèques,
Les colonels et les receveurs généraux
De n'avoir pas de l'eau, du soleil, des pastèques.

Charles CROS

jeudi 26 septembre 2019

Le givre

Mon Dieu ! comme ils sont beaux
Les tremblants animaux
Que le givre a fait naître
La nuit sur ma fenêtre !

Ils broutent des fougères
Dans un bois plein d'étoiles,
Et l'on voit la lumière
A travers leurs corps pâles.

Il y a un chevreuil
Qui me connaît déjà;
Il soulève pour moi
Son front entre les feuilles.

Maurice CARÊME

mardi 24 septembre 2019

Printemps

Je te donne ce coin fleuri,

Ces arbres légers, cette brume

Et Paris, au loin, qui s'allume

Sous ces nuages blancs et gris.


Francis CARCO

lundi 23 septembre 2019

Le Thé

Miss Ellen, versez-moi le Thé
Dans la belle tasse chinoise,
Où des poissons d'or cherchent noise
Au monstre rose épouvanté.

J'aime la folle cruauté
Des chimères qu'on apprivoise :
Miss Ellen, versez-moi le Thé
Dans la belle tasse chinoise.

Là sous un ciel rouge irrité,
Une dame fière et sournoise
Montre en ses longs yeux de turquoise
L'extase et la naïveté.
Miss Ellen, versez-moi le Thé.


Théodore de BANVILLE

dimanche 22 septembre 2019

L'averse

Un arbre tremble sous le vent.
Les volets claquent.
Comme il a plu, l'eau fait des flaques.

Des feuilles volent sous le vent
Qui les disperse
Et, brusquement, il pleut à verse.

Francis CARCO

vendredi 20 septembre 2019

Insoumission


Vivre tranquille en sa maison,
Vertueux ayant bien raison,
Vaut autant boire du poison.

Je ne veux pas de maladie,
Ma fierté n’est pas refroidie,
J’entends la jeune mélodie.

J’entends le bruit de l’eau qui court,
J’entends gronder l’orage lourd,
L’art est long et le temps est court.

Tant mieux, puisqu’il y a des pêches,
Du vin frais et des filles fraîches,
Et l’incendie et ses flammèches.

On naît filles, on naît garçons.
On vit en chantant des chansons,
On meurt en buvant des boissons.

Charles CROS

mardi 17 septembre 2019

Pour ma mère


Il y a plus de fleurs
Pour ma mère en mon cœur,
Que dans tous les vergers ;
Plus de merles rieurs
Pour ma mère en mon cœur,
Que dans le monde entier ;
Et bien plus de baisers
Pour ma mère en mon cœur,
Qu’on n’en pourrait donner.

Maurice CAREME

lundi 16 septembre 2019

Traversée du désert


« Il est un silence de la paix quand les tribus sont conciliées, quand le soir ramène sa fraîcheur et qu’il semble que l’on fasse halte, voiles repliées, dans un port tranquille. Il est un silence de midi quand le soleil suspend les pensées et les mouvements. Il est un faux silence, quand le vent du nord a fléchi et que l’apparition d’insectes, arrachés comme du pollen aux oasis de l’intérieur, annonce la tempête d’est porteuse de sable. Il est un silence de complot, quand on connaît, d’une tribu lointaine, qu’elle fermente. Il est un silence du mystère, quand se nouent entre les Arabes leurs indéchiffrables conciliabules. Il est un silence tendu quand le messager tarde à revenir. Un silence aigu quand, la nuit, on retient son souffle pour entendre. Un silence mélancolique, si l’on se souvient de qui l’on aime.
Tout se polarise. Chaque étoile fixe une direction véritable. Elles sont toutes étoiles de mages. Elles servent toutes leur propre dieu. Celle-ci désigne la direction d’un puits lointain, dur à gagner. Et l’étendue qui vous sépare de ce puits pèse comme un rempart. Celle-là désigne la direction d’un puits tari. Et l’étoile elle-même paraît sèche. Et l’étendue qui vous sépare du puits tari n’a point de pente. Telle autre étoile sert de guide vers une oasis inconnue que les nomades vous ont chantée, mais que la dissidence vous interdit. Et le sable qui vous sépare de l’oasis est pelouse de contes de fées. Telle autre encore désigne la direction d’une ville blanche du Sud, savoureuse, semble-t-il, comme un fruit où planter les dents. Telle, de la mer.
Enfin des pôles presque irréels aimantent de très loin ce désert : une maison d’enfance qui demeure vivante dans le souvenir. Un ami dont on ne sait rien, sinon qu’il est.
Ainsi vous sentez-vous tendu et vivifié par le champ des forces qui tirent sur vous ou vous repoussent, vous sollicitent ou vous résistent. Vous voici bien fondé, bien déterminé, bien installé au centre de directions cardinales.
Et comme le désert n’offre aucune richesse tangible, comme il n’est rien à voir ni à entendre dans le désert, on est bien contraint de reconnaître, puisque la vie intérieure loin de s’y endormir s’y fortifie, que l’homme est animé d’abord par des sollicitations invisibles. L’homme est gouverné par l’Esprit. Je vaux, dans le désert, ce que valent mes divinités. »

Antoine de SAINT-EXUPERY, Lettre à un otage, in Œuvres complètes, vol. II, Paris, Gallimard, 1999, Coll. « La Pléiade », p. 93-94.

dimanche 15 septembre 2019

A fleur de terre


Il y a des fois où tu aimerais mieux être ailleurs, parce qu’il n’y a plus de bois pour mettre dans le feu.
Tu as beau frotter tes mains l’une contre l’autre, cela ne suffit plus.
Tu as beau arpenter le sol de tes pas silencieux ; rien n’en sort.
Toujours ton regard se dérobe, et tu te surprends à regarder le ciel ; sa blancheur te fascine.
Tu voudrais tout à coup te fondre en elle et y trouver ce qui t’appelle depuis toujours,
Ce que tu portes en toi
Depuis ton premier souffle,
Depuis ton premier cri,
Depuis que ce monde a décidé de vivre autour de toi.
Tu ouvres grand les yeux, et tu regardes.
La lumière enfante les plus fous de tes rêves.
Dans les courants sublimes tu pars et te déploies,
Tu ouvres grand ton âme à la lumière.
Il y a des fois où tu voudrais ne plus jamais fermer les yeux.
Devenir pour toujours ce que tu portes en toi
Comme un fruit jamais encore assez mûr.

Célia BORNERT

samedi 14 septembre 2019

Sur la grève

Couche-toi sur la grève et prends en tes deux mains,

Pour le laisser couler ensuite, grain par grain,

De ce beau sable blond que le soleil fait d'or ;

Puis, avant de fermer les yeux, contemple encor

La mer harmonieuse et le ciel transparent,

Et, quand tu sentiras, peu à peu, doucement,

Que rien ne pèse plus à tes mains plus légères,

Avant que de nouveau tu rouvres tes paupières,

Songe que notre vie à nous emprunte et mêle

Son sable fugitif à la grève éternelle.


Henri de REGNIER (Les Médailles d'argile)

vendredi 13 septembre 2019

EXCUSE

Aux arbres il faut un ciel clair,
L’espace, le soleil et l’air,

L’eau dont leur feuillage se mouille.

Il faut le calme en la forêt,

La nuit, le vent tiède et discret

Au rossignol, pour qu’il gazouille.

 

Il te faut, dans les soirs joyeux,

Le triomphe ; il te faut des yeux

Eblouis de ta beauté fière.

Au chercheur d’idéal il faut

Des âmes lui faisant là-haut

Une sympathique atmosphère.

 

Mais quand mauvaise est la saison,

L’arbre perd fleurs et frondaison.

Son bois seul reste, noir et grêle.

Et sur cet arbre dépouillé,

L’oiseau, grelotant et mouillé,

Reste muet, tête sous l’aile.

 

Ainsi ta splendeur, sur le fond

Que les envieuses te font,

Perd son nonchaloir et sa grâce.

Chez les nuls, qui ne voient qu’hier,

Le poète, interdit et fier,

Rêvant l’art de demain, s’efface.

 

Arbres, oiseaux, femmes, rêveurs

Perdent dans les milieux railleurs

Feuillage, chant, beauté, puissance.
Dans la cohue où tu te plais,

Regarde-moi, regarde-les,

Et tu comprendras mon silence.

 

Charles CROS (1842-1888)

jeudi 12 septembre 2019

Le petit Lapon


Je n'ai jamais vu de lama,

De tamanoir ni de puma.

 

Je n’ai pas été à Lima.

Ni à Fez, ni à Panama.

 

Je ne possède ni trois-mâts,

Ni charrette, ni cinéma.

 

Je ne suis qu’un petit Lapon

Qui sculpte de petits oursons

 

Avec un os, dans un glaçon.

 

 

Maurice CAREME (Pierres de lune. L’Ecole)


mercredi 11 septembre 2019

Le mauvais soir


La nuit se fait sereine et douce

Et tendre comme mon serment ;

Mes larmes tombent lentement

Sur cette main qui me repousse ;

 

La nuit se fait douce et sereine…

Une étoile est au fond des cieux ;

Puisses-tu lire dans mes yeux

L’amour que ta froideur refrène ;


La nuit se fait douce et sereine

Et ma voix t’implore tout bas.

Par pitié, ne m’écarte pas

De ton geste orgueilleux de reine.


La nuit se fait sereine et douce,

La lune luit sur le chemin,

Mes larmes tombent sur la main,

La main chère qui me repousse.

 


Henri de REGNIER





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mardi 10 septembre 2019

Il suffit de fort peu de chose ...


Il suffit de fort peu de chose

Au poète, pour être heureux : 

Un mot d’amour, de tendres yeux,

Un beau jour, un bouton de rose,



De l’air, un rayon de soleil,

Un éclair qui perce l’orage,

Un doux songe dans le sommeil, 

Un oiseau chantant sous l’ombrage,



Et le voilà gai comme un roi !

D’où vient à ses rayons cette ombre ?...

Puisqu’il lui faut si peu, pourquoi

Le poète est-il donc si sombre ?

 



Henri-Charles READ (1857-1876)

vendredi 6 septembre 2019

Le jardin mouillé

La croisée est ouverte ; il pleut
Comme minutieusement,
A petit bruit et peu à peu,
Sur le jardin frais et dormant.

Feuille à feuille, la pluie éveille
L'arbre poudreux qu'elle verdit ;
Au mur, on dirait que la treille
S'étire d'un geste engourdi.

L'herbe gémit, le gravier tiède
Crépite et l'on croirait là-bas
Entendre sur le sable et l'herbe
Comme d'imperceptibles pas.

Le jardin chuchote et tressaille
Furtif et confidentiel ;
L'averse semble maille à maille
Tisser la terre avec le ciel.

Il pleut et, les yeux clos, j'écoute,
De toute sa pluie à la fois,
Le jardin mouillé qui s'égoutte
Dans l'ombre que j'ai faite en moi.

Henri de REGNIER

mercredi 4 septembre 2019

Quelques vers de Charles Péguy

Etoile de la mer, voici la lourde nappe
Et la profonde houle et l'océan des blés
Et la mouvante écume et nos greniers comblés,
Voici votre regard sur cette immense chape.

(Présentation de la Beauce à Notre-Dame de Chartres)

Vous n'avez plus connu les naissantes années
Jaillissant comme un choeur du haut du jeune temps ;
Vous n'avez plus connu vers un jeune printemps
Le chaste enlacement des saisons alternées.
...

Vous n'avez plus connu ce manteau de tendresse
Jeté sur l'âme même et ce manteau d'honneur.
Vous n'avez plus connu cette chaste caresse
Et ce consentement aux règles du bonheur.

(Eve)

mardi 3 septembre 2019

Ode au printemps


"Je suis allé voir Pierre Baudoin dans la maison de campagne où il demeure. C'était à l'aube du printemps. Les arbres en fleurs avaient des teintes et des lueurs, des nuances claires et neuves et blanches de bonheur insolent semblables aux nuances que les Japonais ont fidèlement vues et qu'ils ont représentées. Les branches des arbres des bois transparaissaient merveilleusement au travers des bourgeons et des feuilles ou des fleurs moins épaisses comme la charpente osseuse d'un vertébré transparaît dans les images radiographiées de son corps. Notre ami Pierre Baudoin, qui est un classique, et même, en un sens un conservateur, me dit qu'il redoutait l'incertitude anxieuse de cette jeunesse et la transparence mystérieuse des arbres. Il attendait impatiemment l'heure prochaine où les arbres auront leur beauté pleine, où le feuillage épais cachera normalement, naturellement, décemment, convenablement, modestement la charpente intérieure. Il admet qu'en hiver les arbres à feuilles caduques soient des squelettes, parce que l'hiver est la saison de la mort. Mais il demande qu'aussitôt que la saison de vie a rayonné du soleil et rejailli de la terre nourrice, les arbres se vêtent rapidement de leur feuillage habituel. Car il convient, me disait-il, que nos regards humains nous donnent humainement les images végétales des végétaux patients. Mais il ne convient pas que nos reagards humains nous donnent d'eux sans appareil je ne sais quelle image mystérieuse, animale et radioscopée."

Charles PEGUYOeuvres complètes, Tome I, p. 216, 217.

dimanche 1 septembre 2019

L'Etranger



-       Qui aimes-tu le mieux, homme énigmatique, dis ? ton père, ta mère, ta sœur ou ton frère ?

-       Je n’ai ni père, ni mère, ni sœur, ni frère.

-       Tes amis ?

-       Vous vous servez là d’une parole dont le sens m’est resté jusqu’à ce jour inconnu.

-       Ta patrie ?

-       J’ignore sous quelle latitude elle est située.

-       La beauté ?

-       Je l’aimerais volontiers, déesse et immortelle.

-       L’or ?

-       Je le hais comme vous haïssez Dieu.

-       Eh ! qu’aimes-tu donc, extraordinaire étranger ?

-       J’aime les nuages… les nuages qui passent… là-bas…là-bas…les merveilleux nuages !


Charles BAUDELAIRE, Le Spleen de Paris, I

Le Ruisseau

    L ’ entendez-vous , l’entendez-vous   Le menu flot sur les cailloux ?   Il passe et court et glisse,  Et doucement dédie aux branches,...