samedi 31 octobre 2009

Souvenir (fragment)

Mes yeux ont contemplé des objets plus funèbres
Que Juliette morte au fond de son tombeau,
Plus affreux que le toast à l'ange des ténèbres
Porté par Roméo.

J'ai vu ma seule amie, à jamais la plus chère,
Devenue elle-même un sépulcre blanchi,
Une tombe vivante où flottait la poussière
De notre mort chéri,

De notre pauvre amour, que, dans la nuit profonde,
Nous avions sur nos coeurs si doucement bercé !
C'était plus qu'une vie, hélas ! c'était un monde
Qui s'était effacé !

Oui, jeune et belle encor, plus belle, osait-on dire,
Je l'ai vue, et ses yeux brillaient comme autrefois.
Ses lèvres s'entrouvraient, et c'était un sourire,
Et c'était une voix;

Mais non plus cette voix, non plus ce doux langage,
Ces regards adorés dans les miens confondus;
Mon coeur, encor plein d'elle, errait sur son visage,
Et ne la trouvait plus.

Et pourtant j'aurais pu marcher alors vers elle,
Entourer de mes bras ce sein vide et glacé,
Et j'aurais pu crier : "Qu'as-tu fait, infidèle,
Qu'as-tu fait du passé ?"

Alfred de MUSSET, Souvenir (1841)

vendredi 30 octobre 2009

Air vif

J'ai regardé devant moi
Dans la foule je t'ai vue
Parmi les blés je t'ai vue
Sous un arbre je t'ai vue

Au bout de tous mes voyages
Au fond de tous mes tourments
Au tournant de tous les rires
Sortant de l'eau et du feu

L'été l'hiver je t'ai vue
Dans ma maison je t'ai vue
Entre mes bras je t'ai vue
Dans mes rêves je t'ai vue

Je ne te quitterai plus.

Paul ELUARD, Le Phénix (1951)

jeudi 29 octobre 2009

La lune

Avec ses caprices, la Lune
Est comme une frivole amante;
Elle sourit et se lamente,
Elle fuit et vous importune.

La nuit, suivez-la sur la dune,
Elle vous raille et vous tourmente;
Avec ses caprices, la Lune
Est comme une frivole amante.

Et souvent elle se met une
Nuée en manière de mante;
Elle est absurde, elle est charmante;
Il faut adorer sans rancune,
Avec ses caprices, la Lune.

Théodore de BANVILLE, Rondets (1875)

mercredi 28 octobre 2009

October

O hushed October morning mild,
Thy leaves have ripened to the fall;
Tomorrow's wind, if it be wild,
Should waste them all.
The crows above the forest call;
Tomorrow they may form and go.
O hushed October morning mild,
Begin the hours of this day slow.
Make the day seem to us less brief.
Hearts not averse to being beguiled,
Beguile us in the way you know.
Release one leaf at break of day;
At noon release another leaf;
One from our trees, one far away.
Retard the sun with gentle mist;
Enchant the land with amethyst.
Slow, slow !
For the grapes'sake, if they were all,
Whose leaves already are burnt with frost,
Whose clustered fruit must else be lost -
For the grapes'sake along the wall.

Robert FROST, A Boy's Will

mardi 27 octobre 2009

Co-naître ?

- Pensez-vous qu'on puisse connaître - connaître - un être vivant ? (...)
- Je crois...que le recours à l'esprit tente de compenser ceci : la connaissance d'un être est un sentiment négatif : le sentiment positif, la réalité, c'est l'angoisse d'être toujours étranger à ce qu'on aime.
- Aime-t-on jamais ?
- Le temps fait disparaître parfois cette angoisse, le temps seul. On ne connaît jamais un être, mais on cesse parfois de sentir qu'on l'ignore...Connaître par l'intelligence, c'est la tentation vaine de se passer du temps...

André MALRAUX, La condition humaine

lundi 26 octobre 2009

La sagesse du Tao

Les paroles vraies ne sont pas belles
Les belles paroles ne sont pas vraies
La bonté n'est pas éloquence
L'éloquence n'est pas bonté
La sagesse n'est pas science
La science n'est pas sagesse

Le Sage se garde d'amasser
Plus il vit pour les autres et plus il s'enrichit
Plus il dispense aux autres et plus il est comblé

La Voie du Ciel : gratifier sans nuire
La Voie du Sage : oeuvrer sans batailler.

LAO-TSEU, La Voie et sa vertu (Tao-tê-king)

dimanche 25 octobre 2009

Rythmes errants

Ne pleure pas
les rythmes
qui, apparemment, se perdent :
rythme des vents,
des eaux,
du frémissement des arbres,
du chant des oiseaux,
du mouvement des astres,
du pas des hommes...
Il y a toujours un musicien
ou un poète,
ou un saint,
ou un fou,
chargé par Dieu
de capter
les rythmes errants qui risquent de se perdre.

Dom Helder Camara, Mille raisons pour vivre (28 juilet 1971)

samedi 24 octobre 2009

vendredi 23 octobre 2009

Nada

La route est courte
On arrive bien vite
Aux pierres de couleur
Puis
A la pierre vide

On arrive bien vite
Aux mots égaux
Aux mots sans poids
Puis
Aux mots sans suite

Parler sans avoir rien à dire
On a dépassé l'aube
Et ce n'est pas le jour
Et ce n'est pas la nuit
Rien c'est l'écho d'un pas sans fin

Paul ELUARD, Poésie ininterrompue (1946)

jeudi 22 octobre 2009

The Falling of the Leaves

Autumn is over the long leaves that love us,
And over the mice in the barley sheaves;
Yellow the leaves of the rowan above us,
And yellow the wet wild-strawberry leaves.

The hour of the waning of love has beset us,
And weary and worn are our sad souls now;
Let us part, ere the season of passion forget us,
With a kiss and a tear on thy drooping brow.

W.B. YEATS

***

La Chute des Feuilles [1]

L'automne plane sur les longues feuilles qui nous aiment,
Et sur les souris dans les gerbes d'orge;
Jaunes les feuilles du sorbier au-dessus de nous,
Et jaunes les feuilles humides des fraises sauvages.

L'heure où l'amour décline est pour nous imminente,
Et lasses et usées sont maintenant nos âmes tristes;
Séparons-nous avant que la saison de la passion nous oublie,
Avec un baiser et une larme sur ton front incliné.

______________

[1] Je traduis littéralement.

mercredi 21 octobre 2009

The Shepherd

How sweet is the Shepherds sweet lot,
From the morn to the evening he strays :
He shall follow his sheep all the day
Ahd his tongue shall be filled with praise.

For he hears the lambs innocent call.
And he hears the ewes tender reply.
He is watchful while they are in peace,
For they know when their Shepherd is nigh.

William BLAKE, Songs of Innocence and of Experience

mardi 20 octobre 2009

Politics (fragment)

...
And maybe what they say is true
Of war and war's alarms,
But O that I were young again
And held her in my arms !

W.B. YEATS
, Last Poems (1936-1939)

lundi 19 octobre 2009

La rencontre

Nous vivons endormis dans un Monde en sommeil. Mais qu'un tu murmure à notre oreille, et c'est la saccade qui lance les personnes : le moi s'éveille par la grâce du toi. L'efficacité spirituelle de deux consciences simultanées, réunies dans la conscience de leur rencontre, échappe soudain à la causalité visqueuse et continue des choses. La rencontre nous crée : nous n'étions rien - ou rien que des choses - avant d'être réunis.

Gaston BACHELARD

dimanche 18 octobre 2009

Amen

Accepte
les surprises
qui dérangent tes plans,
anéantissent tes rêves,
donnent un tour
totalement différent
à ta journée
et peut-être même
à ta vie.
Ce n'est pas le hasard.
Donne au Père la liberté
de bâtir Lui-même
la trame de tes jours...

Dom Helder Camara, Mille raisons pour vivre (6 juillet 1971)

samedi 17 octobre 2009

Les signes des temps

Tôt ou tard, la pensée, la conscience morale, l’art, le social s’arrêtent à leur propre limite et alors le choix s’impose : s’installer dans l’infini vicieux ou dépasser sa propre limitation et, dans la transparence de ses eaux claires, refléter l’invisible. Le Royaume de Dieu n’est accessible qu’à travers le chaos de ce monde. Il n’est pas une transplantation étrangère, mais la révélation de la profondeur cachée de ce monde même.

Paul EVDOKIMOV, La Femme et le Salut du Monde.

Le Ruisseau

    L ’ entendez-vous , l’entendez-vous   Le menu flot sur les cailloux ?   Il passe et court et glisse,  Et doucement dédie aux branches,...