mardi 31 mars 2009

Les fleurs sont si contradictoires...

Ainsi le petit prince, malgré la bonne volonté de son amour, avait vite douté d’elle. Il avait pris au sérieux des mots sans importance, et était devenu très malheureux.
« J’aurais dû ne pas l’écouter, me confia-t-il un jour, il ne faut jamais écouter les fleurs. Il faut les regarder et les respirer. La mienne embaumait ma planète, mais je ne savais pas m’en réjouir. Cette histoire de griffes, qui m’avait tellement agacé, eût dû m’attendrir… »
Il me confia encore :
« Je n’ai alors rien su comprendre ! J’aurais dû la juger sur les actes et non sur les mots. Elle m’embaumait et m’éclairait. Je n’aurais jamais dû m’enfuir ! J’aurais dû deviner sa tendresse derrière ses pauvres ruses. Les fleurs sont si contradictoires ! Mais j’étais trop jeune pour savoir l’aimer. »

Antoine de SAINT-EXUPERY, Le Petit Prince.

lundi 30 mars 2009

A la Mystérieuse

J'ai tant rêvé de toi que tu perds ta réalité. Est-il encore temps d'atteindre ce corps vivant et de baiser sur cette bouche la naissance de la voix qui m'est chère? J'ai tant rêvé de toi que mes bras habitués en étreignant ton ombre à se croiser sur ma poitrine ne se plieraient pas au contour de ton corps, peut-être. Et que, devant l'apparence réelle de ce qui me hante et me gouverne depuis des jours et des années, je deviendrais une ombre sans doute.O balances sentimentales.
J'ai tant rêvé de toi qu'il n'est plus temps
sans doute que je m'éveille.
Je dors debout, le corps exposé à toutes
les apparences de la vie et de l'amour
et toi, la seule qui compte
aujourd' hui pour moi,
je pourrais moins
toucher ton front et tes
lèvres que les premières lèvres
et le premier front venu. J'ai tant
rêvé de toi, tant marché,
parlé, couché avec
ton fantôme qu'il ne me
reste plus peut-être, et
pourtant, qu'à être fantôme
parmi les fantômes et plus
ombre cent fois que
l'ombre qui se
promène et se
promènera
allégrement
sur le cadran
solaire de ta vie.

Robert DESNOS, Corps et Biens

dimanche 29 mars 2009

Dieu est l'amour

« Dieu est l’amour et celui qui demeure dans l’amour demeure en Dieu. » [Première épître de Saint Jean, chapitre 4, 16] La lumière d’amour qui fait que nous comprenons l’autre est dans sa forme originelle la disposition de Dieu, mais le langage de Jean est hardi et dit : l’amour est Dieu même.

Romano GUARDINI, Le message de Saint Jean, Paris, Cerf, 1965 pour la trad. fçse.

samedi 28 mars 2009

Finitude

Poursuivant l'amour toute notre vie, nous ne l'obtenons jamais que d'une manière imparfaite et qui fait saigner notre cœur. Et l'eussions-nous obtenu vivants, que nous en restera-t-il après la mort? (...) C'est fini ! C'est à jamais fini ! Et telle est l'histoire de l'homme dans l'amour.

LACORDAIRE

vendredi 27 mars 2009

Celle qui depuis toujours...

Celle qui depuis toujours habite au profond de mon être, dans la pénombre et la demi-lueur; celle qui jamais n'a soulevé son voile dans la lumière du matin - je l'enveloppe de mon dernier chant, mon Dieu, pour te l'offrir en don suprême.
Les mots l'ont courtisée mais ne l'ont pas conquise; en vain la persuasion tend vers elle ses bras ardents.
J'ai rôdé de pays en pays, et je la gardais dans le coeur de mon coeur; autour d'elle est monté et puis est retombé le flux et le reflux de ma vie.
Sur mes pensées et sur mes actes, sur mes sommeils et sur mes rêves, elle règne, et pourtant réside à part et solitaire.
Plus d'un a frappé à ma porte, l'a réclamée et s'en est retourné sans espoir.
Nul au monde n'a jamais vu sa face; elle attend que tu la reconnaisses.

Rabindranath TAGORE, L'Offrande lyrique.

jeudi 26 mars 2009

En Memoria

Ya no eres la que aprende
Paso a paso conmigo bajo el sol,
ni el deseo sonriente, ni la dulce fatiga.
Ya no estás deslumbrada por esa vida
que se te perdía,
y lo que más me asombra en este lado,
es sentir que te vuelves cada vez más eterna
mientras de mí se borran tu calor
y tu voz.

Augusto PINILLA



MEMOIRE

Tu n'es plus celle qui apprenait
pas à pas avec moi sous le soleil,
ni le désir souriant, ni la douce fatigue.
Tu n'es plus l'émerveillement face à cette vie
qui te coulait entre les doigts,
et ce qui me confond le plus de ce côté du monde
c'est de te sentir chaque jour plus proche de l'éternel
tandis qu'en moi s'effacent ta chaleur
et ta voix.

Traduction de Marilyne-Armande Renard

mercredi 25 mars 2009

Arioso

Nous sommes toujours ensemble
Quelque part en nous
Quelque part en nous notre amour ne pourra jamais fuir
Quelque part
ô quelque part
Tous les trains sont partis et les horloges arrêtées :
Toujours ici et toujours maintenant nous sommes
Quelque part en nous
Toujours nous sommes toi jusqu'à changer et nous confondre
Soudain merveille nous sommes merveilleux et la métamorphose
Vagues rompant la mer, feu de roses, neige.
Quelque part en nous quand les os ont blanchi
Après la soif écrasante de la quête et du doute
Jusqu'au recul scellé
au reniement nié.
O nuage d'espoir !
Quelque part en nous leurs os ont blanchi là
Où se trouvaient les mirages
Et surgit la certitude au loin comme la houle de la houle
Nous sommes loin tu le reflètes comme une étoile dans la houle
Nous sommes près je le reflète comme une étoile dans la houle
Toujours le rêve abat son masque et devient toi
Qui t'éloignes de moi douleur
Pour revenir encore
Pour revenir encore vers moi
De plus en plus en nous de plus en plus en toi

Erik LINDEGREN

mardi 24 mars 2009

Sonnet

Whether we write or speak or do but look
We are ever unapparent. What we are
Cannot be transfused into word or book.
Our soul from us is infinitely far.
However much we give our thoughts the will
To be our soul and gesture it abroad,
Our hearts are incommunicable still.
In what we show ourselves we are ignored.
The abyss from soul to soul cannot be bridged
By any skill of thought or trick of seeming.
Unto our very selves we are abridged
When we would utter to our thought our being.
We are our dreams of ourselves, souls by gleams,
And each to each other dreams of other’s dreams.

Fernando PESSOA, Poemas ingleses

Seja falar, escrever, olhar sequer,
Sempre inaparentes somos. Nosso ente
Não pode, verbo ou livro, em si conter.
A alma nos fica longe infindamente.
Pensamentos que dermos ou quisermos
Ser alma nossa em gestos revelada
Coração cerrado fica o que tivermos,
De nós mesmos é sempre ignorada.
Abismos de alma a alma intransponíveis
Por bem pensar ou manha de o parecer.
Ao mais fundo de nós irredutíveis
Quando ao pensar o ser queremos dizer.
Sonhos de nós, as almas lucilantes,
E duns pra outros sonhos doutros antes.

Traduction de José Blanc de Portugal.

lundi 23 mars 2009

Petit madrigal

Quatre grenadiers
sont dans ton verger.

(Prends mon coeur
tout neuf.)
Quatre cyprès
y seront plantés.

(Prends mon coeur
si vieux.)

Soleil et lune.
Après...
ni coeur
ni verger !

Federico GARCIA LORCA, Amour (Avec ailes et flèches.)

dimanche 22 mars 2009

ô Roi des rois

Jour après jour, ô maître de ma vie, me tiendrai-je devant toi face à face ? Les mains jointes, ô maître des mondes, me tiendrai-je devant toi face à face ?
Sous ton grand ciel, en silence et en solitude, avec un humble cœur, me tiendrai-je devant toi face à face ?
Dans ce laborieux monde tien, tumultueux de labeurs et de luttes, parmi l’agitation des foules, me tiendrai-je devant toi face à face ?
Et quand j’aurai fini mon travail dans ce monde, ô Roi des rois, seul et muet, me tiendrai-je devant toi face à face ?

Rabindranath TAGORE, L’Offrance lyrique

samedi 21 mars 2009

La vie a-t-elle un sens ?

La question qui se pose donc à tout homme est la question du sens de l’existence. C’est Paul Ricoeur qui écrit : « Il est bien vrai que les hommes manquent de justice et d’amour mais ils manquent peut-être plus encore de signification. » Qu’est-ce que tout cela signifie finalement ?

La question la plus fondamentale de la philosophie est la question suivante : pourquoi y a-t-il quelque chose et non pas rien ? Au plan pratique, cette question devient : Pourquoi faut-il qu’il y ait un accroissement, une puissance, un plus-être ? A quoi cela mène-t-il ? Et c’est toute la question du sens et du non-sens de la vie.

Sens selon la double acception du mot : sens comme direction, comme on dit le sens d’un fleuve ou le sens unique dans la rue ; et sens comme signification, comme on dit le sens d’une phrase. Quelle est la direction de notre existence, où allons-nous ? Et quelle en est la signification, qu’est-ce que cela veut dire ?

Beaucoup de choses on un sens et heureusement ! L’amitié a un sens, l’amour a un sens, la culture a un sens, le progrès économique et social, le progrès de la justice dans le monde, tout cela a un sens. Du sens, il y en a partout.

Mais il y a aussi du non-sens. Cette jeune fille de vingt ans que je vais voir à l’hôpital m’apprend qu’elle est renseignée sur son état : elle est atteinte d’un cancer et va mourir dans quelques mois, alors qu’elle est très belle, pleine de talents et qu’elle était promise à un magnifique avenir. Pour elle et pour ses proches, le fait d’être fauchée à vingt ans est absurde, n’a pas de sens. Elle me dit : « Je me révolte. » Bien loin de me scandaliser de sa révolte, je lui réponds : « Je me révolte avec vous. » Elle s’étonne, croyant que j’allais lui dire que la révolte était un péché. Devant le non-sens, devant l’absurde, la révolte est saine.

Ce père de famille de quatre enfants qui meurt subitement à cause d’un coup de frein maladroit sur une route mouillée, c’est absurde. Un raz de marée et voilà des milliers et des milliers de Pakistanais réduits à la famine, c’est absurde, cela n’a pas de sens.

Comment voulez-vous éviter de poser le problème de savoir ce qui va finalement l’emporter, du sens ou du non-sens ? Est-ce le non-sens qui va être vainqueur ? Est-ce la mort qui est le bout de tout ? La mort est-elle ce butoir sur lequel va buter tout ce qui a déjà un sens, et allons-nous être contraints de dire avec Paul Valéry : « Tout va sous terre et rentre dans le jeu » ? [1] Le jeu de la nature : nos cadavres serviront de fumier pour les légumes de nos petits-enfants !

En termes un peu plus philosophiques, est-ce que notre liberté, cette magnifique liberté qui nous permet d’émerger au-dessus des êtres de la nature sera finalement vaincue par la nature ? Je ne crois pas qu’on puisse éviter la question du sens.

On peut n’y pas faire attention, bien sûr, et nous sommes environnés de gens qui s’enlisent dans les sens partiels de l’existence : l’amour, l’amitié, la culture, le progrès économique et politique. Pascal dirait: ils se divertissent. Autrement dit, ils vivent de façon superficielle. On peut ne pas faire attention à la question fondamentale mais elle se pose irréductiblement dès que l’on fait attention.

François VARILLON.
___________________
[1] Paul Valéry, Le Cimetière marin.

Le gardeur de troupeau. XVIII

Que ne suis-je la poussière du chemin,
les pauvres me foulant sous leurs pieds…

Que ne suis-je les fleuves qui coulent,
avec les lavandières sur ma berge…

Que ne suis-je les saules au bord du fleuve,
n’ayant que le ciel sur ma tête et l’eau à mes pieds…

Que ne suis-je l’âne du meunier,
lequel me battrait tout en ayant pour moi de l’affection…

Plutôt cela plutôt qu’être celui qui traverse l’existence
en regardant derrière soi et la peine au cœur…

Fernando PESSOA, Poésies d’Alvaro de Campos

vendredi 20 mars 2009

Aimer

Depuis, je crois avoir appris ce qu'est aimer : être capable, non de prendre ces initiatives de surenchère sur soi et d'"exagération", mais d'être attentif à l'autre, respecter son désir et ses rythmes, ne rien demander mais apprendre à recevoir et recevoir chaque don comme une surprise de la vie, et d'être capable, sans aucune prétention, et du même don et de la même surprise pour l'autre, sans lui faire la moindre violence. En somme la simple liberté. Pourquoi donc Cézanne a-t-il peint la montagne Sainte-Victoire à chaque instant ? C'est que la lumière de chaque instant est un don.

Louis ALTHUSSER, L'avenir dure longtemps (1992).

jeudi 19 mars 2009

La condition humaine

Je dis les pierres et les scarabées.
Je dis les bûches et les tripes.
Je ne chante pas.
Je parle avec des fourrures dans la bouche.
Je parle dans le fruit sans en ouvrir l'écorce.
Je ne respire pas le parfum des violettes frissonnantes.
Je ne vomis pas une rivière de roses.
Je ne chante pas, non.
Je refuse de chanter.
Mais je prends avec mes lèvres
comme avec des doigts, et je laisse des traces
dans la chair déguisée en pâte.
Je dis qu'il y a des montagnes de réel
où nous devons nous frayer un chemin
(il ne s'agit pas de chanter et fuir).
Je dis qu'un boeuf est fort comme plusieurs hommes,
mais que beaucoup d'hommes unis sont forts comme un fleuve.
Une voile rassemble le souffle des multitudes
et se fait assez forte pour labourer un champ.
(Oui, pourquoi ne pas labourer avec une voile et le vent ?)
Le bluet se dresse électrique dans le champ de blé
et menace la moissonneuse comme la flamme d'une lampe à souder.
Une pierre ronde, bonne à jeter,
est un éclatant exemple de fermeté
et de force de caractère.
Or je ne chante pas,
je ne fais que dire ce qui est,
ou ce qui pourrait être,
ce qui sera, un jour !

Artur LUNDKVIST

mercredi 18 mars 2009

Poétique

C’est le silence que tu dois écouter
le silence de ce qu’on nomme la perfection formelle
le silence derrière la rhétorique
le silence derrière les allusions, les élisions
C’est la quête du non-sens
jusque dans le sens même
et réciproquement
Or tout ce qu’avec art j’écris
est justement sans art
et tout le plein est vide
Tout ce que j’ai écrit
se trouve écrit entre les lignes.

Gunnar EKELOF (1907-1968)

mardi 17 mars 2009

Daffodils

I wander'd lonely as a cloud
That floats on high o'er vales and hills,
When all at once I saw a crowd,
A host, of golden daffodils ;
Beside the lake, beneath the trees,
Fluttering and dancing in the breeze.

Continuous as the stars that shine
And twinkle on the Milky Way,
They stretch'd in never-ending line
Along the margin of a bay :
Ten thousand saw I at a glance,
Tossing their heads in sprightly dance.

The waves beside them danced, but they
Out-did the sparkling waves in glee :
A poet could not but be gay,
In such a jocund company :
I gazed - and gazed - but little thought
What wealth the show to me had brought ;

For oft, when on my couch I lie
In vacant or in pensive mood,
They flash upon that inward eye
Which is the bliss of solitude ;
And then my heart with pleasure fills,
And dances with the daffodils.

William WORDSWORTH

Le globe

OFFRONS le globe aux enfants, au moins pour une journée.
Donnons-leur afin qu’ils en jouent comme d’un ballon multicolore
Pour qu’ils jouent en chantant parmi les étoiles.
Offrons le globe aux enfants,
Donnons-leur comme une pomme énorme
Comme une boule de pain toute chaude,
Qu’une journée au moins ils puissent manger à leur faim.
Offrons le globe aux enfants,
Qu’une journée au moins le monde apprenne la camaraderie,
Les enfants prendront de nos mains le globe
Ils y planteront des arbres immortels.

Nazim HIKMET, Poèmes inédits.

lundi 16 mars 2009

April rise

If ever I saw blessing in the air
I see it now in this still early day
Where lemon-green the vaporous morning drips
Wet sunlight on the powder of my eye.

Blown bubble-film of blue, the sky wraps round
Weeds of warm light whose every root and rod
Splutters with soapy green, and all the world
Sweats with the bead of summer in its bud.

If ever I heard blessing it is there
Where birds in trees that shoals and shadows are
Splash with their hidden wings and drops of sound
Break on my ears their crests of throbbing air.

Pure in the haze the emerald sun dilates,
The lips of sparrows milk the mossy stones,
While white as water by the lake a girl
Swims her green hand among the gathered swans.

Now, as the almond burns its smoking wick,
Dropping small flames to light the candled grass :
Now, as my low blood scales its second chance,
If ever world were blessed, now it is.

Laurie LEE, The Bloom of Candles.

dimanche 15 mars 2009

Laudamus te

L’amour de Dieu est, c’est par là que tout commence. Il veut que nous soyons, et loué soit-il que nous puissions être en vertu de cette raison toute sainte : parce que son amour le veut.

Romano GUARDINI

samedi 14 mars 2009

The road not taken

Two roads diverged in a yellow wood
And sorry I could not travel both
And be one traveller, long I stood
And looked down one as far as I could
To where it bent in the undergrowth;

Then took the other, as just as fair,
And having perhaps the better claim,
Because it was grassy and wanted wear;
Though as for that passing there
Had worn them really about the same,

And both that morning equally lay
In leaves no step had trodden black.
Oh, I kept the first for another day !
Yet knowing how way leads on to way,
I doubted if I should ever come back.

I shall be telling this with a sigh
Somewhere ages and ages hence :
Two roads diverged in a wood, and I –
I took the one less traveled by,
And that has made all the difference.

Robert FROST, Mountain interval.

Amour mutuel

…l’amour vrai, c’est discerner dans l’autre – pour l’avoir reconnu tout d’abord en soi-même – le vrai moi, sujet de l’amour, et l’aider à prendre conscience de ce qu’il est ou peut devenir. (…) Aimer, c’est aider l’autre à se situer de telle manière que la lumière se voie en lui, mais qu’en même temps le vrai moi de l’amant s’y découvre, autrement éclairé, et par là subtilement changé, un peu plus lui-même qu’avant : amour mutuel.

Denis de ROUGEMONT, Les mythes de l’amour.

vendredi 13 mars 2009

A la réflexion...

Aimer celui qui vous rend heureux, c'est pour la réflexion une définition insuffisante de l'amour ; aimer celui qui, par méchanceté, vous a rendu malheureux, c'est la vertu !
mais aimer celui qui, par amour, donc par suite d'un malentendu, mais par amour, vous rendait malheureux, c'est la formule donnée par la réflexion, qui n'a jamais été décrite à ce que je sache, mais qui est pourtant normale, de l'amour.

Soeren KIERKEGAARD, Point de vue.

jeudi 12 mars 2009

Quand vous serez bien vieille, au soir à la chandelle

Quand vous serez bien vieille, au soir à la chandelle,
Assise auprès du feu, dévidant et filant,
Direz chantant mes vers, en vous émerveillant :
« Ronsard me célébrait du temps que j'étais belle. »

Lors vous n'aurez servante oyant telle nouvelle,
Déjà sous le labeur à demi sommeillant,
Qui au bruit de mon nom ne s'aille réveillant,
Bénissant votre nom, de louange immortelle.

Je serai sous la terre et, fantôme sans os,
Par les ombres myrteux je prendrai mon repos ;
Vous serez au foyer une vieille accroupie,

Regrettant mon amour et votre fier dédain.
Vivez, si m'en croyez, n'attendez à demain :
Cueillez dès aujourd'hui les roses de la vie.

Pierre de RONSARD (1524-1585)

De l'ineffable...

Après tout ce qui a été dit, depuis que le monde est monde, sur l'amour et sur la mort, comment l'intuition trouve-t-elle encore quelque chose à dire ? C'est que les mystères de l'homme sont aussi affaire personnelle de chacun, le sujet d'étonnement le plus ancien et le plus neuf et, en quelque sorte, l'éternelle jeunesse d'une expérience philosophique.

Vladimir JANKELEVITCH
, Le Je-ne-sais-quoi et le Presque rien (1980).

The Lover pleads with his friends for old friends

Though you are in your shining days,
Voices among the crowd
And new friends busy with your praise,
Be not unkind or proud,
But think about old friends the most :
Time’s bitter flood will rise,
Your beauty perish and be lost
For all eyes but these eyes.

W.B. YEATS, The wind among the reeds, 1899.

mercredi 11 mars 2009

L'amour est un crime parfait

Le vertigineux décentrage qu’effectue l’analyste situe le sens de toute parole dans sa finalité sous-jacente. La demande d’amour est un des ressorts secrets de nos façons d’être et de nous manifester. Toute la technique analytique repose sur cette intuition décisive de Freud, que chaque cure confirme : le discours associatif est au service d’une demande actuelle, c’est-à-dire au service du transfert. Cette demande aura la forme d’une exigence, d’une prière, d’une adjuration, d’une revendication, d’une sommation, d’une extorsion, d’un chantage…C’est cette visée secrète qui éclaire certains comportements énigmatiques en les situant « au-delà du principe de plaisir ». A distance du masochisme ou du sadisme dont ils ont l’apparence, les modes de nous faire aimer répètent indéfiniment l’archaïsme qui les a institués.
Agresser, souffrir, tourmenter, satisfaire, s’efforcer, contrarier, soumettre, s’absenter, dépérir, semer la discorde, se taire, subir, être gentil, renoncer…L’amour s’extorque, tout autant qu’il se mérite, se mendie ou s’attend. Ce qu’en son nom chacun inflige aux autres ou à soi-même, lui semble depuis toujours pleinement légitime. L’amour est un crime parfait !

Jean-Claude LAVIE, L’amour est un crime parfait (Folio essais,p. 49).

mardi 10 mars 2009

Liberté

Sur mes cahiers d'écolier
Sur mon pupitre et les arbres
Sur le sable sur la neige
J'écris ton nom

Sur toutes les pages lues
Sur toutes les pages blanches
Pierre sang papier ou cendre
J'écris ton nom

Sur les images dorées
Sur les armes des guerriers
Sur la couronne des rois
J'écris ton nom

Sur la jungle et le désert
Sur les nids sur les genêts
Sur l'écho de mon enfance
J'écris ton nom

Sur les merveilles des nuits
Sur le pain blanc des journées
Sur les saisons fiancées
J'écris ton nom

Sur tous mes chiffons d'azur
Sur l'étang soleil moisi
Sur le lac lune vivante
J'écris ton nom

....

Sur mes refuges détruits
Sur mes phares écroulés
Sur les murs de mon ennui
J'écris ton nom

Sur l'absence sans désir
Sur la solitude nue
Sur les marches de la mort
J'écris ton nom

Sur la santé revenue
Sur le risque disparu
Sur l'espoir sans souvenir
J'écris ton nom

Et par le pouvoir d'un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer

Liberté.

Paul ELUARD. 1942.
L'amour consiste non à sentir qu'on aime, mais à vouloir aimer; quand on veut aimer par-dessus tout, on aime par-dessus tout.

Charles de FOUCAULD, lettre à Louis Massignon.

lundi 9 mars 2009

Par-dessus tout, qu’il y ait l’amour

Par-dessus tout, qu’il y ait l’amour :
c’est le lien qui fait l’unité dans la perfection
Tu vois ce qu’il dit.
Car on peut pardonner sans aimer
Mais dit Paul, il faut aimer aussi !
Et il montre le chemin pour pouvoir pardonner.
On peut être bon, doux, humble et patient,
et ne pas éprouver de charité…
Ce qu’il veut dire,
c’est qu’aucune de ces vertus n’est utile,
tout se désagrège s’il n’y a l’amour.
C’est lui qui resserre tout,
tout ce que tu peux dire de bien
n’est rien si c’est sans lui
et sans lui, tout s’en va à vau-l’eau.
Dans un navire, si grands que soient les agrès,
s’il n’y a pas d’armature, ils sont inutiles ;
dans une maison,
s’il n’y a pas de charpente, c’est pareil ;
et dans le corps, si grands que soient les os,
s’il n’y a pas de ligaments, ils sont inutiles.
Il en va de même des bonnes actions,
tout s’en va s’il n’y a l’amour.
Il n’a pas dit : « c’est le sommet »,
mais il a dit, ce qui est plus important :
c’est le lien qui fait l’unité.
Voilà qui est plus nécessaire que le sommet !
En effet, le sommet
est le plus haut degré de la perfection,
mais le lien
contient les éléments dont dépend la perfection,
il en est comme la racine .

Avec ce lien de l’Amour qui fait l’unité, la Vie du vivant est absolue, elle n’est pas ceci ou cela, celui-ci ou celui-là. Car en rigueur de terme elle n’est pas, elle advient et ne cesse d’advenir dans un éternel présent. Elle est pur don. Elle ne s’achète pas plus qu’elle ne se mérite. Elle est pardon.

Denis VASSE

Le Ruisseau

    L ’ entendez-vous , l’entendez-vous   Le menu flot sur les cailloux ?   Il passe et court et glisse,  Et doucement dédie aux branches,...