jeudi 24 février 2011

Paysages

Paysages paisibles ou désolés.
Paysages de la route de la vie plutôt que de la surface de la Terre.
Paysages du Temps qui coule lentement, presque immobile et parfois comme en arrière.
Paysages des lambeaux, des nerfs lacérés, des "saudades".
Paysages pour couvrir les plaies, l'acier, l'éclat, le mal, l'époque, la corde au cou, la mobilisation.
Paysages pour abolir les cris.
Paysages comme on se tire un drap sur la tête.

Henri MICHAUX, Peintures (1939) in L'espace du dedans

vendredi 11 février 2011

Ombres

Au mal :

Nous étions deux à nous chauffer au même feu
Feu qui brûla le sang des forêts tropicales
Et qui faisait au ciel monter les feuilles sèches
Flammes lourdes d'en bas la terre pour tanière
Et danse dans les yeux au-delà des étoiles

Nous étions deux à nous chauffer au même feu
Chargé d'amour comme de plomb comme de plumes
Dans la douleur et dans la joie nous n'étions qu'un
Même couleur et même odeur même saveur
Mêmes passions même repos même équilibre

Nos gestes notre voix se détendaient ensemble
L'or de notre mémoire avait la même gangue
Et nos baisers suivaient une route semblable
Je t'embrassais tu m'embrassais je m'embrassais
Tu t'embrassais sans bien savoir qui nous étions

Tu tremblais tout entière entre mes mains tremblantes
Nous descendions la même pente vers le feu
Vers son délire et vers ses cendres vers la fin
De notre union la fin de l'homme avec la femme

Comment aurions-nous pu nous penser séparés
Nous qui filions nos jours et nos nuits en rêvant
Amants d'un temps commun amants de chair jumelle
Rien ne changeait de sens ni d'accent pour nous deux
Dans les plis de nos draps nous nous croyions utiles.

Et dans les plis des rues nous n'étions pas en vain
Nous luttions sans douter pour la vie fraternelle
Nous faisions corps avec le vent avec la voile
Avec l'espoir sans frein des hommes malheureux
Ils sont au bout de tout et chantent leur naissance

Mais toi tu es bien morte et moi je suis bien seul
Je suis mal amputé j'ai mal j'ai froid je vis
En dépit du néant je vis comme on renie
Et si ce n'était pas pour toi qui as vécu
Comme un être parfait comme je devrais être

Je n'aurais même pas à respecter nos ombres.

Paul ELUARD
, Une leçon de morale (1950)

jeudi 3 février 2011

Reconnaissance

Etre reconnu est au coeur de la demande d'amour. Etre reconnu dans son existence singulière. Cela commence avec le regard, celui d'une mère sans doute. Je me vois dans ce regard qui se porte sur moi : j'existe. Désarroi si ce regard me fuit, se porte ailleurs, est indifférent, hostile ou si je m'aperçois que je me suis leurré en croyant qu'il m'était destiné.

Jean-Bertrand PONTALIS
, En marge des nuits (2010)

Le Ruisseau

    L ’ entendez-vous , l’entendez-vous   Le menu flot sur les cailloux ?   Il passe et court et glisse,  Et doucement dédie aux branches,...