dimanche 23 janvier 2011

Le clair sourire

Partout où ton pas est allé
Et partout où ta main se pose,
Il reste de toi quelque chose
D'indéfinissable et d'ailé.

Aussi j'aime ce que tu touches
Comme si c'était un peu toi ;
Partout où tu passas, je vois
Le clair sourire de ta bouche.

Il est là-bas, sur le balcon
Où tu suis ton rêve, accoudée,
Et dans la fraîche et sombre allée
Où nous allons.

Partout tu laisses une empreinte
Presque imperceptible de toi,
Une lueur jamais éteinte
Qui n'est visible que pour moi.

Ici je vois une attitude,
Un regard de tes larges yeux ;
Ici la tranquille habitude,
Ou le songe silencieux.

Là, c'est un signe de ta tête
Ou les fleurs que tu vas cueillir ;
Là, vaguement ta silhouette
En la brume du souvenir.

Partout où ton pas est allé
Et partout où ta main se pose,
Il reste de toi quelque chose
D'indéfinissable et d'ailé ...

Jules SUPERVIELLE, Comme des voiliers (1910)

jeudi 20 janvier 2011

Voyage en soi

Nous verrons-nous jamais quand, légers, auront fui
Les jours que nous vivrons encore ?
Aura-t-elle une fin l'imperturbable nuit,
Après notre dernière aurore ?

Ne viendras-tu jamais sur mon coeur d'autrefois
Poser ta main terrestre et douce,
Toi qui pour notre amour, multiple comme un bois,
Fus l'eau vivante sur la mousse ?

Est-ce vrai que l'on meurt tout à fait, est-ce vrai
Que les yeux clos jamais ne s'ouvrent ?
Et que le morne froid qu'un jour je sentirai
Est celui des chenets que nul feu ne recouvre ?

Est-ce vrai que ta joie et ton jeune baiser,
Et les saisons de ton visage,
Que tout s'effacera dans mon coeur apaisé,
Et même ta présente image ?

Toi que voilà glissant des bagues à tes doigts,
Et qui souris et qui badines,
Ô toi qui ne sais pas quel angoissant émoi
Est né dans mon âme orpheline ?

Jules SUPERVIELLE, Poèmes (1919)

lundi 17 janvier 2011

Couvre-feu

Que voulez-vous la porte était gardée

Que voulez-vous nous étions enfermés

Que voulez-vous la rue était barrée

Que voulez-vous la ville était matée

Que voulez-vous elle était affamée

Que voulez-vous nous étions désarmés

Que voulez-vous la nuit était tombée

Que voulez-vous nous nous sommes aimés.

Paul ELUARD, Poésie et vérité 1942 (1942)

dimanche 2 janvier 2011

La Création

Et Dieu s'promena, et regarda bien attentivement
Son Soleil, et sa Lune, et les p'tits astres de son firmament.

Il regarda la terre qu'il avait modelée dans sa paume,
Et les plantes et les bêtes qui remplissaient son beau royaume.

Et Dieu s'assit, et se prit la tête dans les mains,
Et dit : "J'suis encore seul; j'vais m'fabriquer un homme demain."

Et Dieu ramassa un peu d'argile au bord d'la rivière,
Et travailla, agenouillé dans la poussière.

Et Dieu, Dieu qui lança les étoiles au fond des cieux,
Dieu façonna et refaçonna l'homme de son mieux.

Comme une mère penchée sur son p'tit enfant bien aimé,
Dieu peina, et s'donna du mal, jusqu'à c'que l'homme fût formé.

Et quand il l'eut pétri, et pétri, et repétri,
Dans cette boue faite à son image Dieu souffla l'esprit.

Et l'homme devint une âme vivante,
Et l'homme devint une âme vivante...

Marguerite YOURCENAR, Fleuve profond, sombre rivière, Les "negro spirituals", commentaires et traductions (1966)

Le Ruisseau

    L ’ entendez-vous , l’entendez-vous   Le menu flot sur les cailloux ?   Il passe et court et glisse,  Et doucement dédie aux branches,...