samedi 18 février 2012

L'an se rajeunissait...

L'an se rajeunissait en sa verte jouvence,
Quand je m'épris de vous, ma Sinope cruelle ;
Seize ans étaient la fleur de votre âge nouvelle,
Et votre teint sentait encore son enfance.

Vous aviez d'une infante encor la contenance,
La parole et les pas ; votre bouche était belle
Votre front et vos mains dignes d'une immortelle,
Et votre oeil, qui me fait trépasser, quand j'y pense.

Amour, qui ce jour-là si grandes beautés vit,
Dans un marbre, en mon coeur, d'un trait les écrivit.
Et si, pour le jour d'hui, vos beautés si parfaites

Ne sont comme autrefois, je n'en suis moins ravi,
Car je n'ai pas égard à cela que vous êtes,
Mais au doux souvenir des beautés que je vi.

Pierre de RONSARD, Pièces retranchées des Amours, XXX.

jeudi 9 février 2012

Tristesse

J'ai perdu ma force et ma vie,
Et mes amis et ma gaieté;
J'ai perdu jusqu'à la fierté
Qui faisait croire à mon génie.

Quand j'ai connu la Vérité,
J'ai cru que c'était une amie;
Quand je l'ai comprise et sentie,
J'en étais déjà dégoûté.

Et pourtant elle est éternelle,
Et ceux qui se sont passés d'elle
Ici-bas ont tout ignoré.

Dieu parle, il faut qu'on lui réponde.
Le seul bien qui me reste au monde
Est d'avoir quelquefois pleuré.

Alfred de MUSSET, Poésies nouvelles (1840).

vendredi 3 février 2012

Courbes, nuages, corps de femme...

Contempler les nuages a toujours constitué ma distraction favorite. J'y voyais des cathédrales, des guerriers, des animaux, des corps de femme et toutes sortes de choses fantastiques. Ce n'est pas l'angle droit qui m'attire. Ni la ligne droite, inflexible, créée par l'homme. Ce qui m'attire, c'est la courbe libre et sensuelle. La courbe que je rencontre dans les montagnes de mon pays, dans le cours sinueux de ses fleuves, dans les nuages du ciel, dans le corps des femmes. Tout l'univers est fait de courbes.

Oscar NIEMEYER, Je cherche toujours à inventer (2007)

mercredi 1 février 2012

La poésie

Quelle peut être l'utilité de la poésie, dans un monde où la dictature de l'image tend à la bâillonner ? Je pense qu'elle doit justement lutter contre cette dictature-là, omniprésente, sournoise. Plus que jamais, la poésie a un devoir de résistance, mais elle a bien d'autres missions.
Je crois d'abord qu'elle a une mission d'éveil. Elle nous aide à trouver une nouvelle spiritualité, à forger de nouvelles mythologies, afin de proposer une alternative aux discours religieux actuels, lesquels sont de plus en plus monolithiques, voire intégristes. Mais la poésie a une autre mission, essentielle elle aussi : parce qu'elle est invention, surtout sur le plan musical, elle ajoute aux mots de tous les jours des éléments nouveaux qui les transforment, les décapent et les purifient en les détournant de leur usage routinier. La poésie sert à faire évoluer notre langage. Enfin, parce qu'ils travaillent dans le pluriel de l'imaginaire, la polyphonie et la fantaisie, les poètes tracent des chemins buissonniers qui permettent d'éviter les écueils du dogmatisme. J'ajouterais enfin qu'ils ne gagnent pas d'argent, et que cette image est très subversive, dans  un monde où le fric est devenu un dieu.

Michel BUTOR, Ecrire, c'est détruire les barrières (2006)

Le Ruisseau

    L ’ entendez-vous , l’entendez-vous   Le menu flot sur les cailloux ?   Il passe et court et glisse,  Et doucement dédie aux branches,...