Ce n'était pas un de ces paysages d'eau et de montagnes, aux falaises escarpées et aux rochers creusés par des torrents, qu'on qualifie de saisissants ou de sublimes. C'étaient des collines en pentes douces et un cours d'eau tranquille, encore adoucis par la brume du soir qui en estompait les contours, un tableau empreint de sérénité, tout à fait dans le genre de la peinture japonaise yamato-e. Il est vrai qu'en matière de paysages, les goûts varient selon les dispositions de chaque spectateur, et il s'en trouverait sans doute pour dénier toute valeur à ce lieu. Quant à moi, des montagnes et des cours d'eau ordinaires sans rien de grandiose ou d'inattendu, tels que ceux-ci, m'invitent à une douce rêverie et me donnent l'envie de m'attarder indéfiniment auprès d'eux. S'ils ne surprennent pas l'oeil et ne ravissent pas l'âme, de tels paysages attirent le voyageur par leur abord amène et souriant. A un regard rapide, ils ne livrent rien, mais celui qui s'attarde longuement auprès d'eux se sent entouré de chaleur et d'une douce affection, comme dans les bras d'une tendre mère. Dans la solitude du soir, surtout, on voudrait se fondre dans la fine brume qui flotte au-dessus de l'eau, et qui semble de loin nous faire signe.
TANIZAKI Yunichirô, Le coupeur de roseaux (1997 pour la trad. frçse)
TANIZAKI Yunichirô, Le coupeur de roseaux (1997 pour la trad. frçse)