La seconde fois où je me rendis là-haut, assis sur un rocher moussu à contempler longuement le lointain, je vis le bleu apparemment immuable virer subitement au gris argent et les nuages commencer à s'amonceler. Un orage s'annonçait. Dans l'ombreux repli, on le sentait tout d'un coup imminent, tant l'air chaud se condensait en une anxieuse attente. Tel un guetteur à l'avant-poste, j'étais happé par la grandiose vision des amas de nuages qui prirent brusquement des teintes d'encre de Chine striées d'éclairs. Ce moment aux couleurs dramatiques était trop tendu pour durer. Peu après, le ciel se décida à la donation totale. La digue, avec fracas, se rompit. Au loin, depuis la très haute voûte tombèrent tout à trac d'innombrables filaments d'eau enveloppés de vapeur, formant une immense armée en rangs serrés - de cavaliers ou d'anges ? - qui s'avança en notre direction, vers ce coin de terre partagé entre accueil et crainte. Mais très vite, ce fut le sentiment de reconnaissance qui domina, quand se répandit le tam-tam de la pluie battant les feuilles, amplifié par les cascades de sources dont résonnaient tout autour les rochers empilés. Quand l'orage eut tout délavé, faisant place à la clarté du couchant, un arc-en-ciel campa, souverain, son arche entre ciel et terre.
François CHENG, Assise, Une rencontre inattendue (2012)
François CHENG, Assise, Une rencontre inattendue (2012)