lundi 20 avril 2009

Venise

Dans Venise la rouge,
Pas un bateau qui bouge,
Pas un pêcheur dans l'eau,
Pas un falot.

Seul, assis à la grève,
Le grand lion soulève,
Sur l'horizon serein,
Son pied d'airain.

Autour de lui, par groupes,
Navires et chaloupes,
Pareils à des hérons
Couchés en ronds,

Dorment sur l'eau qui fume,
Et croisent dans la brume,
En légers tourbillons,
Leurs pavillons.

La lune qui s'efface
Couvre son front qui passe
D'un nuage étoilé
Demi-voilé.

Ainsi, la dame abbesse
De Sainte-Croix rabaisse
Sa cape aux vastes plis
Sur son surplis.

Et les palais antiques,
Et les graves portiques,
Et les blancs escaliers
Des chevaliers,

Et les ponts et les rues
Et les mornes statues,
Et le golfe mouvant
Qui tremble au vent,

Tout se tait, fors les gardes
Aux longues hallebardes,
Qui veillent aux créneaux
Des arsenaux.

- Ah! maintenant plus d'une
Attend au clair de lune,
Quelque jeune muguet,
L'oreille au guet.

Pour le bal qu'on prépare
Plus d'une qui se pare
Met devant son miroir
Le masque noir. (...)

Et qui dans l'Italie
N'a son grain de folie ?
Qui ne garde aux amours
Ses plus beaux jours ?

Alfred de MUSSET, Contes d'Espagne et d'Italie (1829)

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