mercredi 27 janvier 2010

L'amour ressemble à la soif

L'amour ressemble à la soif. Il est assoiffement de l'âme corporelle (c'est-à-dire de l'âme manifestation du corps). L'amour tend toujours vers ce qui "me manque" à moi qui suis assoiffé.

L'amour est langueur ; il fait languir ; et tue lorsqu'il n'est pas satisfait.

C'est pourquoi l'amour en se rassasiant régénère toujours. L'amour est renaissance.

L'amour dévore, engloutit. L'amour est toujours un échange corps-âme. Aussi s'éteint-il lorsqu'il n'y a plus rien à échanger. Et il s'éteint toujours pour une seule raison : l'épuisement du matériel de rechange, l'arrêt de l'échange, la satiété mutuelle, la ressemblance-identification de ceux qui pendant un temps se sont aimés tout en étant différents.

Comme dans un engrenage lorsque les dents (la différence) s'émoussent, s'usent, et cessent de s'encastrer les unes dans les autres. "L'arbre s'arrête et avec lui le "fonctionnement" : la machine en tant qu'harmonie et ordonnance des "contraires" a disparu.
Cet amour-là, mort naturellement, ne renaît jamais...

D'où, avant qu'il ne s'éteigne (complètement), ces brusques trahisons, ultime espoir de l'amour : rien ne sépare tant (ou ne différencie) les amants que la trahison de l'un d'entre eux. La dernière dent encore intacte s'aggripe à son contraire. Le mouvement redevient possible, pour un temps. La trahison est en quelque sorte une "remise en marche" de l'amour, un replâtrage opéré sur de l'ancien, de l'usé. Très souvent même un amour "fêlé" brûle à nouveau d'une flamme ardente et redonne à la vie des allures de bonheur. Alors que sans "trahison" les amants ou la famille finiraient par sombrer dans l'indifférence, dans le détachement, dans la ruine, et disparaîtraient irrémédiablement.

Vassili ROZANOV, Feuilles tombées (1984)

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