samedi 11 septembre 2010

Justice.Vérité...

Justice. Vérité, si ma main, si ma bouche,
Si mes pensers les plus secrets
Ne froncèrent jamais votre sourcil farouche,
Et si les infâmes progrès,
Si la risée atroce, ou, plus atroce injure,
L'encens de hideux scélérats
Ont pénétré vos coeurs d'une longue blessure ;
Sauvez-moi. Conservez un bras
Qui lance votre foudre, un amant qui vous venge.
Mourir sans vider mon carquois
Sans percer, sans fouler, sans pétrir dans leur fange
Ces bourreaux barbouilleurs de lois !
Ces vers cadavéreux de la France asservie,
Égorgée ! O mon cher trésor,
O ma plume ! Fiel, bile, horreur. Dieux de ma vie!
Par vous seul je respire encor :
Comme la poix brûlante, agitée en ses veines
Ressuscite un flambeau mourant,
Je souffre ; mais je vis. Par vous, loin de mes peines,
D'espérance un vaste torrent
Me transporte. sans vous, comme un poison livide,
L'invisible dent du chagrin,
Mes amis opprimés, du menteur homicide
Les succès, le sceptre d'airain ;
Des bons proscrits par lui la mort ou la ruine,
L'opprobre de subir sa loi,
Tout eut tari ma vie ; ou, contre ma poitrine
Dirigé mon poignard. Mais quoi !
Nul ne resterait donc pour attendrir l'histoire
Sur tant de justes massacres.
Pour consoler leurs fils, leurs veuves, leur mémoire,
Pour que des brigands abhorrés
Frémissent aux portraits noirs de leur ressemblance ?
Pour descendre jusqu'aux enfers
Nouer le triple fouet, le fouet de la vengeance,
Déjà levé sur ces pervers ?
Pour cracher leurs noms, pour chanter leur supplice ?
Allons, étouffe tes clameurs ;
Souffre, o coeur gros de haine, affamé de justice ;
Toi, Vertu, pleure, si je meurs.

André CHENIER, Iambes (1)
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(1) Pour le texte complet, voir : http://fr.wikisource.org/wiki/%C2%AB_Comme_un_dernier_rayon_%C2%BB

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