Au mal :
Nous étions deux à nous chauffer au même feu
Feu qui brûla le sang des forêts tropicales
Et qui faisait au ciel monter les feuilles sèches
Flammes lourdes d'en bas la terre pour tanière
Et danse dans les yeux au-delà des étoiles
Nous étions deux à nous chauffer au même feu
Chargé d'amour comme de plomb comme de plumes
Dans la douleur et dans la joie nous n'étions qu'un
Même couleur et même odeur même saveur
Mêmes passions même repos même équilibre
Nos gestes notre voix se détendaient ensemble
L'or de notre mémoire avait la même gangue
Et nos baisers suivaient une route semblable
Je t'embrassais tu m'embrassais je m'embrassais
Tu t'embrassais sans bien savoir qui nous étions
Tu tremblais tout entière entre mes mains tremblantes
Nous descendions la même pente vers le feu
Vers son délire et vers ses cendres vers la fin
De notre union la fin de l'homme avec la femme
Comment aurions-nous pu nous penser séparés
Nous qui filions nos jours et nos nuits en rêvant
Amants d'un temps commun amants de chair jumelle
Rien ne changeait de sens ni d'accent pour nous deux
Dans les plis de nos draps nous nous croyions utiles.
Et dans les plis des rues nous n'étions pas en vain
Nous luttions sans douter pour la vie fraternelle
Nous faisions corps avec le vent avec la voile
Avec l'espoir sans frein des hommes malheureux
Ils sont au bout de tout et chantent leur naissance
Mais toi tu es bien morte et moi je suis bien seul
Je suis mal amputé j'ai mal j'ai froid je vis
En dépit du néant je vis comme on renie
Et si ce n'était pas pour toi qui as vécu
Comme un être parfait comme je devrais être
Je n'aurais même pas à respecter nos ombres.
Paul ELUARD, Une leçon de morale (1950)
Mon blog propose à la lecture des poésies et des réflexions de différents auteurs, le plus souvent de langue française, et parfois de langue anglaise ou espagnole.
vendredi 11 février 2011
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