Pendant toute la journée, nous avons glissé dans le golfe de Suez, entre deux terres prodigieusement pittoresques et désolées. Le Sinaï, massif de granite et de grès rouge déchiquetés, et les côtes égyptiennes, d'abord régulières et tabulaires, puis hérissées de toutes sortes de pics extraordinaires, tous également âpres et nus. Par là-dessus, des teintes de rêve, d'une douceur étrange dans ces climats extrêmes. A l'Est, la mer paraissait bleu foncé. Sa ligne d'horizon s'arrêtait, nette comme une lame de couteau. Et puis, par-dessus cette bande sombre, sans transition, les montagnes s'élevaient rose tendre, dans un ciel vert vaporeux. Au coucher du soleil, c'est la côte ouest qui a attiré sur elle toute la beauté du soir. A mesure que le soleil disparaissait dans un petit remous de nuages ardents, les montagnes d'Egypte, jusqu'alors brumeuses, se sont mises à passer par tous les violets possibles, depuis le plus foncé jusqu'au mauve le plus transparent. Et toute une ligne de pointes aiguës, en dents de scie, sont restées les dernières visibles, marquées dans le ciel doré (...)
En dépassant le cap Guardafui, nous sommes entrés dans une zone de calme absolu (...) Hier, je ne pouvais me lasser de regarder à l'Est la mer uniformément laiteuse et verte, d'une opalescence sans transparence, plus claire que le fond du ciel. Tout d'un coup, une nuée diffuse s'est teintée de rose à l'horizon ; et alors, les petites ondulations huileuses de l'océan restant d'opale sur une de leurs faces et passant au lilas sur leur autre versant, la mer entière a paru quelques instants semblable à une moire soyeuse. Puis la lumière s'est éteinte, et les étoiles ont commencé à se réfléchir autour de nous aussi paisiblement que dans les eaux d'un bassin tranquille (1).
***
J'avais toujours eu (...) une âme naturellement panthéiste. J'en éprouvais les aspirations invincibles, natives ; mais sans oser les utiliser librement, parce que je ne savais pas les concilier avec ma foi. Depuis ces expériences diverses (et d'autres encore), je puis dire que j'ai trouvé, pour mon existence, l'intérêt inépuisé, et l'inaltérable paix.
Je vis au sein d'un Elément unique, Centre et détail de Tout, Amour personnel et Puissance cosmique.
Pour l'atteindre et me fondre en Lui, j'ai l'Univers tout entier devant moi, avec ses nobles luttes, avec ses passionnantes recherches, avec ses myriades d'âmes à perfectionner et à guérir. En plein labeur humain, je puis et je dois me jeter à perdre haleine. Plus j'en prendrai ma part, plus je pèserai sur toute la surface du Réel, plus aussi j'atteindrai le Christ et je me serrerai contre Lui.
Dieu, l'Etre éternel en soi, est partout, pourrait-on dire, en formation pour nous.
Et Dieu, aussi, est le Coeur de Tout. Si bien que le vaste décor de l'Univers peut sombrer, ou se dessécher, ou m'être enlevé par la mort, sans que diminue ma joie. Dissipée la poussière qui s'animait d'un halo d'énergie et de gloire, la Réalité substantielle demeurerait intacte, où toute perfection est contenue et possédée incorruptiblement. Les rayons se reploieraient dans leur source : et, là, je les tiendrais encore tous embrassés (2)
Pierre TEILHARD de CHARDIN, Lettres de voyage (1) ; Le Christ dans la matière (2)
En dépassant le cap Guardafui, nous sommes entrés dans une zone de calme absolu (...) Hier, je ne pouvais me lasser de regarder à l'Est la mer uniformément laiteuse et verte, d'une opalescence sans transparence, plus claire que le fond du ciel. Tout d'un coup, une nuée diffuse s'est teintée de rose à l'horizon ; et alors, les petites ondulations huileuses de l'océan restant d'opale sur une de leurs faces et passant au lilas sur leur autre versant, la mer entière a paru quelques instants semblable à une moire soyeuse. Puis la lumière s'est éteinte, et les étoiles ont commencé à se réfléchir autour de nous aussi paisiblement que dans les eaux d'un bassin tranquille (1).
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J'avais toujours eu (...) une âme naturellement panthéiste. J'en éprouvais les aspirations invincibles, natives ; mais sans oser les utiliser librement, parce que je ne savais pas les concilier avec ma foi. Depuis ces expériences diverses (et d'autres encore), je puis dire que j'ai trouvé, pour mon existence, l'intérêt inépuisé, et l'inaltérable paix.
Je vis au sein d'un Elément unique, Centre et détail de Tout, Amour personnel et Puissance cosmique.
Pour l'atteindre et me fondre en Lui, j'ai l'Univers tout entier devant moi, avec ses nobles luttes, avec ses passionnantes recherches, avec ses myriades d'âmes à perfectionner et à guérir. En plein labeur humain, je puis et je dois me jeter à perdre haleine. Plus j'en prendrai ma part, plus je pèserai sur toute la surface du Réel, plus aussi j'atteindrai le Christ et je me serrerai contre Lui.
Dieu, l'Etre éternel en soi, est partout, pourrait-on dire, en formation pour nous.
Et Dieu, aussi, est le Coeur de Tout. Si bien que le vaste décor de l'Univers peut sombrer, ou se dessécher, ou m'être enlevé par la mort, sans que diminue ma joie. Dissipée la poussière qui s'animait d'un halo d'énergie et de gloire, la Réalité substantielle demeurerait intacte, où toute perfection est contenue et possédée incorruptiblement. Les rayons se reploieraient dans leur source : et, là, je les tiendrais encore tous embrassés (2)
Pierre TEILHARD de CHARDIN, Lettres de voyage (1) ; Le Christ dans la matière (2)
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