mardi 13 octobre 2015

La source et le secret

Poissons tumultueux des eaux de Tibériade
Colombes du Jourdain
J'ai tout le Testament de Dieu dans ma mansarde
Et son rêve divin.

Aux pages de l'Amour longuement je m'attarde
Et je vous vois Marie
Comme une fiancée au royaume des bardes
Voilée de modestie.

Vous êtes ma prison ouverte et ma droiture
Et mon étoile d'or
Le principe, le verbe et la poésie pure
Vous êtes le trésor

Que le ciel et la mer maintenant se partagent
Jusqu'à la fin des temps
Et vous êtes la reine étoilée du Langage
Par le signe du sang.

Charles LE QUINTREC (1926)



lundi 12 octobre 2015

L'Ennemi

Ma jeunesse ne fut qu'un ténébreux orage,
Traversé çà et là  par de brillants soleils;
La tonnerre et la pluie ont fait un tel ravage,
Qu'il reste en mon jardin bien peu de fruits vermeils.

Voilà que j'ai touché l'automne des idées,
Et qu'il faut employer la pelle et les râteaux
Pour rassembler à neuf les terres inondées,
Où l'eau creuse des trous grands comme des tombeaux.

Et qui sait si les fleurs nouvelles que je rêve
Trouveront dans ce sol lavé comme une grève
Le mystique aliment qui ferait leur vigueur?

- O douleur! ô douleur! Le Temps mange la vie,
Et l'obscur Ennnemi qui nous ronge le coeur
Du sang que nous  perdons croît et se fortifie!

Charles BAUDELAIRE, Les Fleurs du Mal (1857)

lundi 5 octobre 2015

Il n'y a pas d'amour heureux

Rien n'est jamais acquis à l'homme ni sa force
Ni sa faiblesse ni son coeur et quand il croit
Ouvrir ses bras son ombre est celle d'une croix
Et quand il croit serrer son bonheur il le broie
Sa vie est un étrange et douloureux divorce
          Il n'y a pas d'amour heureux

Sa vie elle ressemble à ces soldats sans armes
Qu'on avait habillés pour un autre destin
A quoi peut leur servir de se lever matin
Eux qu'on retrouve au soir désoeuvrés incertains
Dites ces mots ma vie et retenez vos larmes
          Il n'y a pas d'amour heureux

Mon bel amour mon cher amour ma déchirure
Je te porte dans moi comme un oiseau blessé
Et ceux-là sans savoir nous regardent passer
Répétant après moi les mots que j'ai tressés
Et qui pour tes grands yeux tout aussitôt moururent
          Il n'y a pas d'amour heureux

Le temps d'apprendre à vivre il est déjà trop tard
Que pleurent dans la nuit nos coeurs à l'unisson
Ce qu'il faut de malheur pour la moindre chanson
Ce qu'il faut de regrets pour payer un frisson
Ce qu'il faut de sanglots pour un air de guitare
          Il n'y a pas d'amour heureux
 
Il n'y a pas d'amour qui ne soit à douleur
Il n'y a pas d'amour dont on ne soit meurtri
Il n'y a pas d'amour dont on ne soit flétri
Et pas plus que de toi l'amour de la patrie
Il n'y a pas d'amour qui ne vive de pleurs
          Il n'y a pas d'amour heureux
          Mais c'est notre amour à tous les deux 

Louis ARAGON (1946)



samedi 3 octobre 2015

Une matinée de Novembre

Le soleil passait à travers le grillage des branches ; je marchais vite : quand je traversai le coeur du village, les volets s'ouvraient et claquaient paresseusement contre les façades, les seaux d'eau commençaient à débarrasser les trottoirs de la litière des feuilles vertes. Je me rappelai que c'était le Jour des Morts. Mais l'angoisse qui avait pesé sur moi toute la soirée s'était envolée ; j'entrai pour prendre un café dans un débit minuscule qui ouvrait sa porte au creux des arbres sous sa pomme de pin. Une parenthèse s'était refermée, mais elle laissait après elle je ne sais quel sillage tendre et brûlant, lent à s'effacer. Je regardais à travers les vitres petites la forêt matinale : quelque chose qui n'était pas seulement la pluie l'avait rafraîchie, apprivoisée, comme si la vie pour un moment était devenue plus aérée, plus proche. Il allait faire beau ; je songeai que toute la journée ce serait encore ici dimanche.

Julien GRACQ, Le roi Cophétua in La prequ'île (1970)

vendredi 2 octobre 2015

OCTOBER

O hushed October morning mild,
Thy leaves have ripened to the fall;
Tomorrow's wind, if it be wild,
Should waste them all.
The crows above the forest call;
Tomorrow they may form and go.
O hushed October morning mild,
Begin the hours of this day slow.
Make the day seem to us less brief.
Hearts not averse to being beguiled,
Beguile us in the way you know.
Release one leaf at break of day;
At noon release another leaf;
One from our trees, one far away.
Retard the sun with gentle mist;
Enchant the land with amethyst.
Slow, slow !
For the grapes'sake, if they were all,
Whose leaves already are burnt with frost,
Whose clustered fruit must else be lost -
For the grapes'sake along the wall.

Robert FROST, A boy's will (1913)

Winters

 "But what after all is one night ? A short space, especially when the darkness dims so soon, and so soon a bird sings, a cock crows, o...