samedi 3 octobre 2015

Une matinée de Novembre

Le soleil passait à travers le grillage des branches ; je marchais vite : quand je traversai le coeur du village, les volets s'ouvraient et claquaient paresseusement contre les façades, les seaux d'eau commençaient à débarrasser les trottoirs de la litière des feuilles vertes. Je me rappelai que c'était le Jour des Morts. Mais l'angoisse qui avait pesé sur moi toute la soirée s'était envolée ; j'entrai pour prendre un café dans un débit minuscule qui ouvrait sa porte au creux des arbres sous sa pomme de pin. Une parenthèse s'était refermée, mais elle laissait après elle je ne sais quel sillage tendre et brûlant, lent à s'effacer. Je regardais à travers les vitres petites la forêt matinale : quelque chose qui n'était pas seulement la pluie l'avait rafraîchie, apprivoisée, comme si la vie pour un moment était devenue plus aérée, plus proche. Il allait faire beau ; je songeai que toute la journée ce serait encore ici dimanche.

Julien GRACQ, Le roi Cophétua in La prequ'île (1970)

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