mardi 3 septembre 2019

Ode au printemps


"Je suis allé voir Pierre Baudoin dans la maison de campagne où il demeure. C'était à l'aube du printemps. Les arbres en fleurs avaient des teintes et des lueurs, des nuances claires et neuves et blanches de bonheur insolent semblables aux nuances que les Japonais ont fidèlement vues et qu'ils ont représentées. Les branches des arbres des bois transparaissaient merveilleusement au travers des bourgeons et des feuilles ou des fleurs moins épaisses comme la charpente osseuse d'un vertébré transparaît dans les images radiographiées de son corps. Notre ami Pierre Baudoin, qui est un classique, et même, en un sens un conservateur, me dit qu'il redoutait l'incertitude anxieuse de cette jeunesse et la transparence mystérieuse des arbres. Il attendait impatiemment l'heure prochaine où les arbres auront leur beauté pleine, où le feuillage épais cachera normalement, naturellement, décemment, convenablement, modestement la charpente intérieure. Il admet qu'en hiver les arbres à feuilles caduques soient des squelettes, parce que l'hiver est la saison de la mort. Mais il demande qu'aussitôt que la saison de vie a rayonné du soleil et rejailli de la terre nourrice, les arbres se vêtent rapidement de leur feuillage habituel. Car il convient, me disait-il, que nos regards humains nous donnent humainement les images végétales des végétaux patients. Mais il ne convient pas que nos reagards humains nous donnent d'eux sans appareil je ne sais quelle image mystérieuse, animale et radioscopée."

Charles PEGUYOeuvres complètes, Tome I, p. 216, 217.

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