« Il est un silence de la paix quand les tribus sont
conciliées, quand le soir ramène sa fraîcheur et qu’il semble que l’on fasse
halte, voiles repliées, dans un port tranquille. Il est un silence de midi
quand le soleil suspend les pensées et les mouvements. Il est un faux silence,
quand le vent du nord a fléchi et que l’apparition d’insectes, arrachés comme
du pollen aux oasis de l’intérieur, annonce la tempête d’est porteuse de sable.
Il est un silence de complot, quand on connaît, d’une tribu lointaine, qu’elle
fermente. Il est un silence du mystère, quand se nouent entre les Arabes leurs
indéchiffrables conciliabules. Il est un silence tendu quand le messager tarde
à revenir. Un silence aigu quand, la nuit, on retient son souffle pour entendre.
Un silence mélancolique, si l’on se souvient de qui l’on aime.
Tout se polarise. Chaque étoile fixe une direction
véritable. Elles sont toutes étoiles de mages. Elles servent toutes leur propre
dieu. Celle-ci désigne la direction d’un puits lointain, dur à gagner. Et
l’étendue qui vous sépare de ce puits pèse comme un rempart. Celle-là désigne
la direction d’un puits tari. Et l’étoile elle-même paraît sèche. Et l’étendue
qui vous sépare du puits tari n’a point de pente. Telle autre étoile sert de
guide vers une oasis inconnue que les nomades vous ont chantée, mais que la
dissidence vous interdit. Et le sable qui vous sépare de l’oasis est pelouse de
contes de fées. Telle autre encore désigne la direction d’une ville blanche du
Sud, savoureuse, semble-t-il, comme un fruit où planter les dents. Telle, de la
mer.
Enfin des pôles presque irréels aimantent de très loin ce
désert : une maison d’enfance qui demeure vivante dans le souvenir. Un ami
dont on ne sait rien, sinon qu’il est.
Ainsi vous sentez-vous tendu et vivifié par le champ des
forces qui tirent sur vous ou vous repoussent, vous sollicitent ou vous résistent.
Vous voici bien fondé, bien déterminé, bien installé au centre de directions
cardinales.
Et comme le désert n’offre aucune richesse tangible, comme
il n’est rien à voir ni à entendre dans le désert, on est bien contraint de
reconnaître, puisque la vie intérieure loin de s’y endormir s’y fortifie, que
l’homme est animé d’abord par des sollicitations invisibles. L’homme est
gouverné par l’Esprit. Je vaux, dans le désert, ce que valent mes
divinités. »
Antoine de SAINT-EXUPERY, Lettre à un otage,
in Œuvres complètes, vol. II, Paris, Gallimard, 1999, Coll. « La
Pléiade », p. 93-94.
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