L’entendez-vous, l’entendez-vous
Le menu flot sur les cailloux ?
Il passe et court et glisse,
Et doucement dédie aux branches,
Qui sur son cours se penchent,
Sa chanson lisse.
Là-bas,
Le petit bois de cornouillers
Où l’on disait que Mélusine
Jadis, sur un tapis de perles fines
Au clair de lune, en blancs souliers,
Dansa ;
Le petit bois de cornouillers
Et tous ses hôtes familiers,
Et les putois et les fouines,
Et les souris et les mulots,
Écoutent
Loin des sentes et loin des routes
S’en aller l’eau.
Et la chanson est preste ou lente,
Suivant les creux, suivant les pentes
Où l’eau s’engouffre ou bien s’enfuit
Elle ne tait ni jour ni nuit
Son bruit ;
Aux coins où les saules s’arc-boutent,
Elle n’est rien parfois qu’un chapelet de gouttes
Qui s’égrène, joyeux et clair,
D’un roseau vert.
Aubes voilées,
Vous étendez en vain,
Dans les vallées,
Vos tissus blêmes.
La rivière,
Sous vos duvets épais, dès le prime matin,
Coule de pierre en pierre
Et rechante quand même.
Si quelquefois, pendant l’été,
Elle tarit sa volupté
D’être sonore et frémissante et fraîche,
C’est que le dur juillet
La hait,
Et l’accable et l’assèche.
Mais néanmoins, oui, même alors
En ses anses, sous les broussailles
Elle tressaille
Et se ranime encor,
Quand la belle gardeuse d’oies
Lui livre ingénûment la joie
Brusque et rouge de tout son corps.
Et la douce chanson mouillée
Autour des mains, émerveillées
De frapper l’eau dans le soleil,
Recommence son rythme exaltant et vermeil
Et se disperse et s’insinue
Sous les coudes ployés et les aisselles nues
Et fait courir son frisson long,
Depuis le col jusqu’aux talons.
Ô les belles épousailles
De l’eau lucide et de la chair,
Dans le vent et dans l’air,
Sur un lit transparent de mousse et de rocailles !
Et les baisers multipliés du flot
Sur la nuque et le dos,
Et les courbes et les anneaux
De l’onduleuse chevelure
Ornant les deux seins triomphaux
D’une ample et flexible parure ;
Et les vaguettes violettes ou roses
Qui se brisent ou tout à coup se juxtaposent
Autour des flancs, autour des reins ;
Et tout là-haut le ciel divin
Qui rit à la santé lumineuse des choses.
La belle fille aux cheveux roux
Pose un pied clair sur les cailloux.
Elle allonge le bras et la hanche, et s’incline
Pour recueillir au bord,
Parmi les lotiers d’or,
La menthe fine ;
Ou bien encor
S’amuse à soulever les pierres
Et provoque la fuite
Droite et subite
Des truites
Au fil luisant de la rivière.
Avec des fleurs de pourpre aux deux coins de sa bouche
Elle s’étend ensuite et rit et se recouche,
Les pieds dans l’eau, mais le torse au soleil ;
Et les oiseaux vifs et vermeils
Volent et volent,
Et l’ombre de leurs ailes
Passe sur elle.
Ainsi fait-elle encor
À l’entour de son corps
Même aux mois chauds
Chanter les flots.
Et ce n’est qu’en septembre
Que sur les branches d’or et d’ambre,
Sa nudité
Ne mire plus dans l’eau sa mobile clarté.
Mais c’est qu’alors sont revenues
Vers notre ciel les lourdes nues
Avec l’averse entre leurs plis
Et que déjà la brume
Du fond des prés et des taillis
S’exhume.
Pluie aux gouttes rondes et claires,
Bulles de joie et de lumière,
Le sinueux ruisseau gaîment vous fait accueil,
Car tout l’automne en deuil
Le jonche en vain de mousse et de feuilles tombées.
Son flot rechante au long des berges recourbées,
Parmi les prés, parmi les bois ;
Chaque caillou que le courant remue
Fait entendre sa voix menue
Comme autrefois ;
Et peut-être aussi que Mélusine,
Quand la lune, à minuit, épand comme à foison
Sur les gazons
Ses perles fines,
S’éveille et lentement décroise ses pieds d’or,
Et, suivant que le flot anime sa cadence,
Danse encor
Et danse.
Émile VERHAEREN,
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