vendredi 22 mai 2009

OMBRES

Au mal :

Nous étions deux à nous chauffer au même feu
Feu qui brûla le sang des forêts tropicales
Et qui faisait au ciel monter les feuilles sèches
Flammes lourdes d’en bas la terre pour tanière
Et danse dans les yeux au-delà des étoiles

Nous étions deux à nous chauffer au même feu
Chargé d’amour comme de plomb comme de plumes
Dans la douleur et dans la joie nous n’étions qu’un
Même couleur et même odeur même saveur
Mêmes passions même repos même équilibre

Nos gestes notre voix se détendaient ensemble
L’or de notre mémoire avait la même gangue
Et nos baisers suivaient une route semblable
Je t’embrassais tu m’embrassais je m’embrassais
Tu t’embrassais sans bien savoir qui nous étions

Tu tremblais tout entière entre mes mains tremblantes
Nous descendions la même pente vers le feu
De la présence et de l’absence vers le feu
Vers son délire et vers ses cendres vers la fin
De notre union la fin de l’homme avec la femme

Comment aurions-nous pu nous penser séparés
Nous qui filions nos jours et nos nuits en rêvant
Amants d’un temps commun amants de chair jumelle
Rien ne changeait de sens ni d’accent pour nous deux
Dans les plis de nos draps nous nous croyions utiles.

Paul ELUARD, Une leçon de morale (1950)

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